IV. Rapports sociaux et luttes entre “classes” inégales chez Rousseau

Pour des auteurs comme Turgot et Necker,  la question des classes sociales, est, on l’a vu, explicitement posée et conceptuali­sée. En est-il de même pour Rousseau ? Les réponses les plus cou­rantes à cet égard tendent à recevoir pour évident que ce dernier n’a jamais “pensé” les classes et leurs rapports contradictoires, que plus généralement c’est un théoricien politique qui n’a que médiocrement apprécié les grands rapports économiques.

On doit sans doute admettre que Rousseau n’a pas comme certains de ses contemporains clairement analysé quels étaient les grands rapports de production et d’échange, qu’il n’a pas “construit” le concept de classe, ni explicitement signalé l’existence d’intérêts ou d’antagonismes de classes. Il ne faut pas en conclure trop vite, au nom d’un fétichisme du concept (d’ailleurs souvent réduit au seul vocabulaire), qu’il n’aurait nullement pris en compte l’existence de grands rapports sociaux contradictoires, ceux-là même qu’il se propose de dépasser par la médiation des formes politiques. C’est ce que l’on va s’attacher à dégager en se centrant sur trois textes : Le discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755), l’article Économie politique destiné à l’Encyclopédie (1755), Du contrat social ou Principes du droit politique (1762).

Pour mieux apprécier comment Rousseau peut poser la question des relations entre économie et politique, des contradictions de la société et les transformations possibles qui en découlent, il faut d’abord considérer qu’il ne fait pas œuvre de théoricien de l’économie politique (1), au sens que l’on peut donner aujourd’hui à ce mot. De surcroît, même en se référant à la signification que l’expression économie politique recelait à l’époque, il faut aussi reconnaître que Rousseau  n’a pas comme Turgot ou Necker une pratique des affaires de l’État lui permettant de dégager, en fonction d’un point de vue global “de gouvernement”, une vision “réaliste” des rapports économiques et sociaux. Mais ce “petit bourgeois”, “solitaire”, selon les images consacrées, n’en a pas moins eu une pratique sociale. Plusieurs fois contraint pour vivre de vendre sa “force de travail” ou les produits de son industrie, il s’est trouvé de fait placé d’un certain “côté” des rapports sociaux, ce qui lui a peut-être permis de percevoir sous un angle particulier leur caractère contradictoire, et de chercher en raison de ce mode particulier d’appréciation, une voie générale pour les résoudre, voie que les spécialistes de l’économie politique de l’époque ont sans doute moins assidûment recherchée.

 Il faut ensuite considérer que les trois textes n’ont pas le même objet. Dans le premier, Rousseau pose les termes des contradictions sociales qu’il dénonce. Dans les suivants, il propose à divers niveaux de généralité les médiations qui devraient permettre de les surmonter ou les résoudre.

— Dans le Discours sur l’inégalité, sont dressées les grandes lignes d’un « état de nature » hypothétique, qui joue le rôle d’une fiction théorique et critique.

Par sa fonction critique, la fiction permet de dénoncer les défauts de la société, telle qu’elle s’est développée. En faisant le tableau d’un premier état de nature, hors de toute relation sociale, on peut faire ressortir les traits spécifiques et le caractère (quant au fond asocial) d’un second état de nature, celui des premières sociétés en proie à la lutte des intérêts privés, la lutte de tous contre tous au détriment de l’intérêt commun. On peut également rendre compte de la formation de deux blocs inégaux, dont l’un tire sa substance de l’autre et se forge un droit à sa discrétion.

Par sa fonction théorique, la fiction rend possible un isolement des facteurs, sert à distinguer ce qui reviendrait à “l’humain” de ce qui revient aux conditions sociales spontanément formées. Elle permet de mettre en évidence le rôle des conditions sociales dans le progrès ou le malheur humain, débouchant ainsi à terme sur l’idée qu’il est possible aussi d’intervenir volontairement sur ces conditions.

 — L’objet de l’article Économie politique se présente comme intermédiaire au regard du Discours sur l’inégalité et du Contrat social. Il est centré sur la définition d’une bonne direction de l’économie publique dans la dépendance de l’instance gouvernementale, intervenant sur le développement spontané des conditions sociales (au moyen d’une juste appréciation de la nature et de la place de la volonté générale, de l’éducation publique, de l’imposition proportionnelle, etc.).

— Dans le Contrat social, il ne s’agit plus seulement de poser les termes contradictoires des relations sociales ni de résoudre le conflit par un bon gouvernement, il s’agit d’indiquer par quelle médiation politique générale, on peut déployer, imposer, des conditions favorables au bien public. La politique est ici levier général pour passer d’un état à un autre, de conditions sociales à d’autres conditions sociales, de la société telle qu’elle est à un véritable état social.

— Dans les trois textes s’expose l’idée que n’existe pas de nature immuable de l’homme et de la société, que l’homme construit l’homme et la société, à travers ses conditions générales d’existence, par la médiation de formes générales. Il y a, sur cette base, affirmation d’un possible règne humain (rôle de la volonté et de la pratique humaine) qui ne nie pas absolument le règne divin ou l’existence de lois “naturelles” (spontanées), mais qui dit la possibilité de transformer volontairement les formes sociales issues de processus involontaires. En ce sens, la pensée de Rousseau est historique, c’est dire que de façon très générale, elle prend en compte les transformations des conditions sociales et l’évolution des rapports sociaux (2). Dans les trois textes, la question de la transformation des conditions sociales et politiques, et celle de leur possible rôle “formant”, sont ainsi affirmés.

C’est la société telle qu’elle est développée (non toute forme sociale), en fonction de la succession des temps, du “hasard”, des “circonstances”, d’un développement spontané des relations sociales, qui se  trouve marquée par la concurrence des intérêts privés, la guerre, l’anarchie sociale. Et c’est sur la base même de ce que recèle son développement spontané, que d’autres formes sociales peuvent être théoriquement projetées, formes susceptibles de réaliser l’intérêt commun, et par là l’épanouis­sement individuel et social.

Les “classes”

Le mot classe n’est pas absent des textes pris en référence. Il peut être utilisé dans le sens du résultat d’une procédure quelconque de classification, constitution “d’êtres abstraits”. En matière sociale, Rousseau peut évoquer la distribution de la population en classes, en fonction de la ri­chesse. Il peut aussi utiliser de façon incidente les mots bourgeois, prolétaires, « classe des riches ».

Ce n’est pas sur la base de tels usages toutefois que l’on peut dire que Rousseau propose une analyse des rapports sociaux, mais plutôt au moyen de nombreuses oppositions polariques mentionnées dans les trois textes : richesse/pauvreté, opulence/misère, riches/pauvres, puissance/faiblesse, forts/faibles, maîtres/esclaves, ceux qui commandent/ceux qui obéissent, violence des puissants/oppression du peuple, etc. Les oppositions sociales et politiques se superposent aux oppositions de richesse. Les riches sont aussi les puissants, la classification principale se rapportant finalement aux inégalités de richesses. La richesse « est la dernière inégalité à laquelle toutes se réduisent à la fin », indique Rousseau. Cette inégalité est de nature sociale, elle n’est pas “naturelle”, pas plus que ne l’est la propriété.

La distinction entre riches et pauvres ne s’analyse pas en termes de stratification, de degrés, elle renferme un rapport social. Richesse et pauvreté se définissent l’une par rapport à l’autre dans une relation de dépendance mutuelle et d’opposition déterminée, aux plans économique, social et politique. Les riches ne peuvent vivre sans les pauvres et ceux-ci doivent en passer pour survivre par les conditions que leur imposent les riches. Ce dont les uns bénéficient se fait au détriment des autres : l’excès de travail des uns rend possible l’opulence et l’oisiveté des autres, le superflu des riches peut même être pris sur le juste nécessaire des pauvres.  Les privilèges dont quelques-uns jouissent le sont « au préjudice des autres ». A la tyrannie  et aux trésors du riche correspond la misère et l’oppression du pauvre. Tous les droits sont du côté de l’homme riche sur la base de sa richesse, aucun droit pour l’homme pauvre sur la base de sa pauvreté.

Les deux blocs sont eux-mêmes inégaux. Ceux qui détiennent la richesse et la puissance sont le petit nombre qui s’oppose au grand nombre : une poignée regorge de superfluités, la multitude manque du nécessaire, les riches et les puis­sants sont une poignée, la foule est dans l’obscurité et la misère.

Les différentes composantes de l’inégalité sociale parmi les hommes se cumulent par effet multiplicateur. Ce sont les puissants et les riches qui tirent toutes les « utilités » de la « confédération sociale », celle-ci « protège fortement les immenses possessions du riche », au détriment des pauvres qui n’ont ni biens, ni droits, seulement des charges.

« Tous les avantages de la société ne sont-ils pas pour les puissants et les riches ? tous les emplois lucratifs ne sont-ils pas remplis par eux-seuls ? toutes les grâces, toutes les exemptions ne leur sont-elles pas réservées ? et l’autorité publique n’est-elle pas toute en leur faveur ? Qu’un homme de considération vole ses créanciers ou fasse d’autres friponneries, n’est-il pas toujours sûr de l’impunité ? Les coups de bâton qu’il distribue, les violences qu’il commet, les meurtres même et les assassinats dont il se rend coupable, ne sont-ce pas des affaires qu’on assoupit, et dont au bout de six mois il n’est plus question ? Que ce même homme soit volé, toute la police est aussitôt en mouvement, et malheur aux innocents qu’il soupçonne. Passe-t-il dans un lieu dangereux ? voilà les escortes en campagne : l’essieu de sa chaise vient-il à rompre ? tout vole à son secours […]. Tous ces égards ne lui coûtent pas un sou ; ils sont le droit de l’homme riche, et non le prix de la richesse. Que le tableau du pauvre est différent ! plus l’humanité lui doit, plus la société lui refuse : toutes portes lui sont fermées même quand il a droit de les faire ouvrir ; et si quelquefois il obtient justice c’est avec plus de peine qu’un autre n’obtiendrait grâce : s’il y a des corvées à faire, une milice à tirer, c’est à lui qu’on donne la préférence ; il porte toujours, outre sa charge, celle dont son voisin plus riche a le crédit de se faire exempter : au moindre accident qui lui arrive, chacun s’éloigne de lui […] ; en un mot toute assistance gratuite fuit le besoin, précisément parce qu’il n’a pas de quoi la payer […]. »

« Une autre attention non moins importante à faire, c’est que les pertes des pauvres sont beaucoup moins réparables que celle du riche et que la difficulté d’acquérir croît toujours en raison du besoin. […] Il y a plus encore : c’est que tout ce que le pauvre paye, est à jamais perdu pour lui, et reste ou revient dans les mains du riche ; et comme c’est aux seuls hommes qui ont part au gouvernement, ou à ceux qui en approchent, que passe tôt ou tard le produit des impôts, ils ont même en payant leur contingent, un intérêt sensible à les augmenter. » Économie politique.

L’opposition entre riches, puissants, privilégiés, et pauvres, faibles, opprimés, s’inscrit elle-même au sein d’une opposition gé­néralisée des intérêts. La production au-delà du nécessaire, la pro­priété privée, qui transforme les usurpations des riches en droit, la division sociale des activités et le développement de l’échange, poussent à la lutte pour s’ap­proprier le nécessaire et le superflu. La “société”, ainsi spontanément formée en fonction de la succession des temps, du hasard et des circonstances, est marquée par la contradiction qui ressort des « échanges particuliers », la concurrence généralisée, les oppositions d’intérêts. Elle est en proie à un « conflit perpétuel » où chacun doit faire son profit aux dépens d’autrui, et porte les hommes « à s’entrehaïr à proportion que leurs inté­rêts se croisent ».

La “lutte des classes”

Rousseau n’utilise pas l’expression “lutte des classes”, mais sur la base des rapports d’inégalité sociale qu’il décrit, il analyse les formes de la lutte qui aux plans économique et politique oppose les riches et les pauvres.

S’il fait état d’une opposition généralisée des intérêts, les contradictions sociales qu’il dénonce, se constituent finalement sous forme de deux “blocs” inégaux, les intérêts des riches s’opposant à ceux du peuple. Et ce sont les intérêts communs de chaque groupe social, et non seulement les inté­rêts individuels, qui sont alors pris en compte. Les riches propriétaires qui sont au-delà du nécessaire, ont un intérêt commun, la préservation de leur propriété. Les non propriétaires, qui sont en deçà du nécessaire, se retrouvent égaux dans l’indigence et l’oppression, ou redeviennent égaux « parce qu’ils ne sont rien », ayant alors un égal intérêt à sortir de la misère et de l’oppression où les contiennent les riches. Sur la base de cette opposition, les coalitions d’intérêts particuliers contre l’intérêt général prennent une forme sociale déterminée. La volonté générale d’un corps particulier, « mauvaise pour le tout », s’impose, et l’opposition entre riches et pauvres finit par recouvrir la contradiction générale de la société entre intérêts particuliers et intérêt général, les intérêts privés des riches triomphant de l’intérêt public qui est celui du peuple.

Dans la lutte qui oppose les uns et les autres, les riches ont eu l’initiative de la première offensive (de classe) organisée. C’est en effet à l’initiative des riches que se constituent les premiers établissements politiques (gouvernement, lois, droit). Ce sont eux qui ont d’abord vu le désavantage pour leurs possessions de la guerre perpétuelle, de l’instabi­lité, ce sont eux qui craignant d’être dépouillés de leurs richesses et devant se garantir de « l’oppression des faibles », ont institué le droit de propriété, (transformation de l’usurpation en droit,) et le gouvernement poli­tique (« invention des riches »).  L’appropriation (illégitime) des richesses prend alors un caractère légal. Ce sont les riches qui ont imposé les premiers « contrats sociaux » (non légitimes) dont les clauses sont ainsi résumées par Rousseau :

« Vous avez besoin de moi, car je suis riche et vous êtes pauvre ; faisons donc un accord entre nous : je permettrai que vous ayez l’honneur de me servir, à condi­tion que vous me donnerez le peu qui vous reste, pour la peine que je prendrai de vous commander. » Économie politique.

Les premiers contrats sociaux et les premiers établissements politiques ne confèrent de nouveaux droits qu’aux riches, ceux-ci sacrifiant une part de leur liberté pour se défendre contre la menace des pauvres, tandis que ces derniers sont chargés de nouvelles entraves. Ces formes politiques, issues du déploiement non maîtrisé de la concurrence des intérêts, sont on le sait dénoncées par Rousseau. Il n’en perçoit pas moins que, dans le même temps, un tel développement contient aussi des éléments (imparfaits) de socialisation des hommes, et qu’il peut rapprocher de l’institution politique légitime, et ceci au travers même des crises, des révoltes, des révolutions qu’il suscite. Qu’enfin il peut engendrer une « révolte de l’esprit », capable de faire naître l’idée d’une transformation générale des conditions sociales, sur la base même de son caractère contradictoire.

Surmonter et résoudre les contradictions sociales

Turgot et plus encore Necker, on l’a dit, ont proposé des analyses “modernes” des rapports de production et d’échange, et des contradictions de classe. L’opposition entre riches et pauvres que propose Rousseau n’a pas un statut théorique comparable. En revanche il a sans doute porté l’accent avec plus de vigueur sur la nécessité de résoudre les contradictions de la société et travaillé à indiquer un mode possible de résolution.

Ce qui est visé dans l’article Économie politique, c’est de surmonter ces contradictions par une bonne économie publique, un gouvernement réglé qui prévienne l’extrême inégalité des fortunes (en ôtant à tous les moyens d’accumuler des richesses et en évitant que quiconque puisse devenir pauvre), en rendant le travail nécessaire (et jamais inutile) pour acquérir l’abondance. Par le Contrat social  (contrat social du peuple et non plus premiers contrats des riches), il ne s’agit plus seulement de surmonter les contradictions mais de les résoudre. Le “droit politique” qu’il s’agit d’instaurer devrait en quelque sorte aboutir à une suppression des “classes”, par la suppression des inégalités de nature sociale.

Et ce droit politique ne se fonde pas sur une méconnaissance de l’existence des contradictions qui opposent une partie de la société à l’autre, il en est au contraire tout à la fois un produit et un mode de dépassement. « Prendre les hommes tels qu’ils sont et les lois telles qu’elles peuvent être ». Les intérêts particuliers qui s’imposaient “d’eux-mêmes” étaient essentiellement ceux des riches, contraires à l’intérêt du peuple, celui-ci ne pouvant que vouloir le bien commun. Il s’agit de trancher en faveur de la maîtrise volontaire du devenir social, de l’unité qui ne peut se développer que sur la base de l’égalité sociale, du plus grand nombre. C’est ainsi en plaçant la souveraineté dans le peuple que les contradictions de la société peuvent être résolues, que les intérêts particuliers pourront se trouver effectivement subordonnés à l’intérêt général.

Résumons.

Rousseau, notamment dans le Discours sur l’inégalité, part de la société telle qu’elle s’est développée, et l’inégalité qu’il dénonce est de nature sociale et non naturelle. Cette inégalité se spécifie en deux blocs inégaux, en interdépendance et en opposition.  Le travail des uns rend possible l’existence des autres, les uns prennent sur le nécessaire des autres pour leur superflu, ou encore les pauvres fournissent le nécessaire et le superflu des riches. Cette inégalité dans la source des richesses se traduit en inégalité politique par procès cumulatif. Contre les intérêts des pauvres, de la multitude du peuple, la richesse associée à la puissance, finit par produire le “droit” et les institutions politiques qui correspondent aux siens propres : « État des riches et des puissants ».

Cet état de société, bien qu’issu des relations qui se sont établies entre les hommes, est contraire à l’égalité de “nature” (qualité spécifique) des hommes (égale liberté à juger de ce qui est bon pour sa conservation) et fait naître une « révolte de l’esprit ». En même temps la mise en relation sociale des hommes donne les conditions d’une transformation de la société.

Par la mise en relation sociale, la communication, la pratique commune, les hommes sortent de l’immédiateté et de l’étroitesse de l’état de nature, ils peuvent penser et poser l’ensemble de leurs rela­tions sociales.

« C’est de l’ordre social établi parmi nous que nous tirons les idées de celui que nous imaginons. »

On peut alors distinguer deux tendances :

— Opposition généralisée des intérêts particuliers.

— Cette opposition induit le besoin d’un minimum d’accord et pousse à l’institution des premières formes politiques.

L’opposition des intérêts rend nécessaire l’institution sociale, mais ce qui la rend possible c’est un accord minimal entre ces intérêts.

« Si l’opposition des intérêts particuliers a rendu nécessaire l’établissement des sociétés, c’est l’accord de ces mêmes intérêts qui l’a rendu possible. »

Nées des besoins, des circonstances, les premières formes politiques ne suppriment pas la tendance à l’opposition généralisée, voire l’aggravent en légitimant la spoliation des pauvres par les riches. Le conflit se perpétue et conduit aux crises, qui à leur tour poussent à trouver un mode de résolution général. Le dépassement de la contradiction implique que l’on tranche au niveau politique. Les riches ont tranché du côté des intérêts privés, suscitant la lutte ininterrompue. Il faut trancher du côté de l’intérêt commun.

« C’est uniquement sur cet intérêt que la société doit être gouvernée. »

Il faut donc, contre les conditions sociales qui favorisent la subordina­tion de l’intérêt commun au particulier, utiliser le levier poli­tique pour donner les conditions sociales qui favorisent la subordination du privé au commun. Et ces conditions ne peuvent être réali­sées que si le peuple est le Souverain (contre les intérêts des riches et des puissants).

NOTES

(1) L’expression Économie politique dans le vocabulaire de Rousseau (et celui de l’époque) s’applique aux bonnes règles de l’économie publique, des affaires sociales géné­rales, non aux seules  « lois » involontaires de la production et des échanges.

(2) Rousseau insiste à cet égard sur la nécessité de ne pas confondre le « genre humain d’un âge avec le genre humain d’un autre âge », de bien voir dans la « nature actuelle » de l’homme le produit des hommes eux-mêmes, tels qu’ils se sont faits, de tenir compte de la succession des temps et des choses, et ne pas projeter sur le passé les conditions sociales du présent.

Références :

J-J. Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes ; Discours sur l’économie politique ; Du contrat social ou essai sur la forme de la république (première version) ; Du contrat social ou principes du droit politique. Oeuvres complètes III, La Pléiade, Gallimard, 1964.

  1. Starobinski, Introduction du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité, même référence.
  2. Derathé, Introductions du Discours sur l’économie politique et des deux versions du Contrat social, même référence.
  3. Vargas, Présentation de l’article Économie politique, Rousseau, Économie politique, 1755, PUF, 1986.

 

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