LECTURES
[Contribution extérieure]
Texte d’Amar Bellal, disponible sur son Blog (https://environnement-energie.org). Cet article n’est pas une recension d’ouvrage mais un article original, repris sur le site lunipop avec l’accord de l’auteur. Il s’agit d’une contribution au débat pour le Congrès du Parti communiste 2018. Amar Bellal est un ancien élève de l’Ecole normale supérieure de Cachan et de l’INSA de Lyon, professeur agrégé de génie civil et rédacteur en chef de la revue Progressistes. Il a publié Environnement et énergie, aux éditions du Temps des Cerises (2016).
Un enjeu central
L’industrie est le cœur de la production de richesse d’un pays : nous pouvons tirer n’importe quel fil de l’activité humaine, l’enseignement, le secteur de la santé, le transport, au bout se trouvera immanquablement un processus de production, une usine pour le dire plus simplement. Le secteur des services, bien souvent, n’est en effet qu’au service d’un processus industriel ou en dépend très étroitement : sans un secteur industriel fort, un pays est condamné, à plus ou moins long terme, car obligé d’importer massivement les produits qu’il consomme, avec le déséquilibre de la balance commerciale et l’appauvrissement qui s’en suivent. Un pays qui ne vivrait qu’avec un secteur primaire et un secteur tertiaire, ne pourrait pas survivre longtemps. Cela doit occuper une place importante dans notre réflexion
Un défaut grave de culture industrielle dans le parti
On se heurte pourtant à une difficulté. La sociologie du parti a beaucoup changé, et plus particulièrement parmi ceux qui animent les groupes d’idées et ceux chargés de rassembler notre réflexion sur ce sujet: beaucoup d’enseignants, de camarades issus des sciences humaines, qui n’ont pas toujours beaucoup d’expérience dans ces secteurs. Il ne s’agit ici pas de les blâmer bien sûr, l’auteur de ces lignes en est d’ailleurs issu. Mais convenons- en : il en découle souvent un désintérêt et un manque d’expertise autour de ces enjeux dans le parti. Cette perte d’expertise est dramatique car elle est la porte ouverte à toutes sortes d’utopies faciles d’accès, qui donnent l’impression de fournir une culture dans ce domaine à peu de frais. Cette culture, souvent, se limite à la lecture du dernier livre à la mode qui met en avant telle ou telle vison utopiste de ce que serait l’industrie de demain par exemple. Ainsi en est il de la fascination autour des imprimantes 3D, des Fablab, de la société du « tous producteurs », de certaines visions proudhoniennes de l’économie, des graves sous-estimations des défis énergétiques… Il faut dire que les philosophes et les sociologues, spécialisés dans la narration de certaines utopies technologistes, ne manquent pas : Besnier, Rifkin, Morin, Stiegler… pseudo-visionnaires qui ont pour point commun de ne pas comprendre grand-chose aux réalités industrielles et au monde de la recherche, pour ne s’y être jamais vraiment frotté, et pour tout dire, n’y avoir jamais travaillé et n’ayant jamais réalisé le moindre projet concret. Et ce sont, hélas, les livres de chevet de beaucoup de dirigeants à gauche, qui s’imaginent ainsi être à la pointe de l’avant-gardisme avec ce genre d’idées
Pourtant, il suffit d’échanger avec quelques ingénieurs, ou chercheurs d’école d’ingénieur, d’institut de technologie, en process de production, en génie productique, pour comprendre que ces visions, sont surtout idéologiques et ne s’appuient sur rien de vraiment crédible. Les évolutions de l’industrie et ses bouleversements sont ailleurs, ce qu’on recouvre par le terme générique d’usine du futur, beaucoup plus difficile à appréhender, mais dont les germes sont déjà là, aux conséquences indiscutables sur les conditions de travail, lorsqu’on prend la peine de discuter avec des salariés ou des militants syndicaux sur le terrain.
Ici faisons une liste des « égarements » les plus fréquemment rencontrés sur le sujet : un premier pas serait en effet de déconstruire les visions simplistes et erronées autour de la production et de l’industrie.
La paillasse de laboratoire et la grande échelle
Ce qui fonctionne sur une paillasse de laboratoire ne fonctionne pas forcément à grande échelle. Ainsi en est-il par exemple des utopies sur la « société hydrogène » et la production d’énergie décentralisée qui nous permettraient, selon certains, de nous passer des grandes unités de productions. La pile à combustible existe, la voiture à hydrogène existe, et ce depuis plusieurs dizaines d’années, mais si cela ne se généralise pas, ce n’est pas parce qu il y aurait un complot contre cette technologie fomenté par les industriels de l’automobile par exemple, mais tout simplement parce que c’est très cher et d’un rendement médiocre, et que les chercheurs du monde entier ne trouvent tout simplement pas de solution pour qu’il en soit autrement. Le domaine de l’énergie est d’ailleurs un des secteurs les plus propices à ces visions qui font fi des ordres de grandeurs et de l’état réel des technologies à plus ou moins long terme. Comment expliquer cela à un dirigeant politique qui, ayant lu le dernier livre de Rifkin, ne jure que par cela, et s’imagine ainsi être un avant-gardiste visionnaire avec ces idées, face à des scientifiques ringards et frileux selon lui, qui lui expliquent le contraire ? C’est très difficile… (c’est du vécu).
Notre penchant pour la science fiction et le sensationnel
On pourrait aussi citer le délire autour de l’homme augmenté et du transhumanisme. C’est la première chose qui nous vient à l’idée lorsqu’on évoque les progrès de la robotique appliquée à l’homme sous forme de prothèses évoluées. Mais l’écrasante majorité des chercheurs en robotique, dans ce domaine précis, cherchent tout simplement à améliorer le quotidien de personnes qui ont perdu un membre et sont gravement handicapées, ou bien ils cherchent par exemple à fabriquer un cœur artificiel le plus fiable possible: non pas pour créer de nouvelles émotions artificielles, dans un délire puéril de film de science fiction, mais plus prosaïquement pour prolonger la vie de milliers de personnes. Et nous passons à coté de cela, de toute une filière, nous focalisant sur l’accessoire, en contribuant à véhiculer les fantasmes de certains philosophes qui voient venir la fin de l’humanité ou une menace pour l’espèce humaine. Pour qu’il en soit autrement il faudrait fréquenter vraiment les chercheurs de cette discipline et s’y intéresser sincèrement, débattre avec eux, quitte à écrire des livres moins sensationnels. Peut-être aussi faire un stage de découverte pour s’immerger dans le monde de la recherche et de l’industrie : il n’y a pas de honte à cela, et cela éviterait d’écrire et de professer des contrevérités.
Nous pourrions citer des dizaines d’exemples de ce type où, y compris au PCF, nous naviguons entre absence complète d’analyse et analyses complètement erronées qui se focalisent sur des aspects périphériques en passant à coté de l’essentiel.
Une utopie technologiste emblématique : les Fablab
L’avenir serait aux fablab et aux associations de quartier de type « do it yourself » (faites-le vous-même), le tout sous couvert d’une aspiration à l’ émancipation de chacun, enfin libre de produire soi- même la poignée de porte cassée de son logement dans son Fablab de quartier, plutôt que d’aller l’acheter à Castorama, acte très aliénant il va sans dire, et selon son désir bien sûr et pour l’usage voulu: ça c’est pour le volet « émancipation »… Ce serait annonciateur de la fin des usines telles qu’on les connaît, la fin des gros centres de production : place à la décentralisation des productions, au partage des savoirs et des connaissances, qui feront que n’importe qui pourra produire ce que bon lui semble en s’improvisant ingénieur, technicien et ouvrier spécialisé, dans la branche qu’il veut, selon la pièce ou l’objet qu’il veut produire soi-même, et en téléchargeant le plan de fabrication sur internet sur des plateformes collaboratives etc. (dans ce cas, il ne faut pas avoir peur de sacrifier ses congés de Noël, si les freins de son vélo lâchent, et qu’on ne veut surtout pas passer chez Décathlon…).
C’est évidemment une vision naïve du monde qui nous entoure, car elle sous-estime le haut niveau de technicité des objets les plus banals qui nous entourent et les problèmes ardus qu’ont dû résoudre nos ingénieurs et techniciens pour produire des objets avec des cahiers des charges de plus en plus exigeants. En termes de résistance des matériaux, de fiabilité, de normes sanitaires, de sécurité et avec la nécessité de les produire à des centaines de milliers d’exemplaires avec le même niveau de qualité : autant dire que ce n‘est pas à la portée du bricoleur du dimanche ne serait-ce que pour fabriquer un « simple » pédalier de vélo, un stylo bic ou même un pot de yaourt… Faut il rappeler qu’on a justement inventé la division du travail pour cela, des normes, des métiers très pointus, qui interdisent toute utopie de ce genre à moins d’accepter un recul de civilisation sans précédent avec un retour à l’artisanat. Bien sûr, on peut rétorquer que la Nasa a une imprimante 3D à bord de l’ISS, que la médecine produit des prothèses à partir d’imprimante 3D, qu’Airbus produit également des pièces à partir de ce type de procédé, et s’imaginer qu’on est avant-gardiste en voyant là les prémisses d’une nouvelle révolution des modes de production. Mais justement, c’est parce que dans ces cas très précis et spécifiques, cela a un réel intérêt, c’est ce qu’on appelle des « niches », rien à voir avec un bouleversement général (encore moins une « révolution »). Ainsi, pour la Nasa, l’isolement de l’ISS exige qu’une pièce aussi spécifique soit-elle puisse être produite en urgence en dépannage à bord : en effet, à 400 km d’altitude, les garagistes sont rares. En médecine, une prothèse est unique, pour un être humain, unique lui aussi, qui va la recevoir. Enfin Airbus a les moyens de se payer une imprimante extrêmement performante, très chère et très spécifique aux pièces qu’elle va réaliser, et qui ne serviront que là. D’ailleurs pour que les centres Fablab soient vraiment efficaces, il faudrait disposer de machines et d’ imprimantes 3D très coûteuses et performantes, se spécialiser dans la production de quelques objets précis pour optimiser la matière et en faire beaucoup, et ensuite que ces machines très chères se regroupent dans un même lieu avec du personnel qualifié sachant piloter ces appareils et assembler les pièces du produit fini (pour faire ne serait qu’un vélo il faudrait des dizaines d’imprimantes 3D vus les différentes pièces et matériaux nécessaire). Comment appellera-t-on de tels lieux ? …des usines tout simplement!… On revient ainsi à la case départ, et avec le questionnement des Fablab on rejoue le débat autour du passage de l’artisanat à l’ère moderne de l’efficacité industrielle, depuis longtemps résolu. On se fait plaisir avec un vernis de modèle alternatif rebelle/contestataire. Avec de telles idées, autant dire que les financiers tremblent… L’illusion ici vient du fait qu’on confond l’imprimante 3D du TP de collège du professeur de technologie, soucieux de faire réaliser des « activités » à des élèves, et l’imprimante 3D de l’atelier de PSA ou d’Airbus, qui n ‘est rien d’autre qu’une évolution de l’usinage à commande numérique qui existe déjà. Mais pour le comprendre il faut un minimum de culture technologique et une notion sur les contraintes que pose une ligne de production. Ne pas confondre progrès, niches et révolution technologique.
Appréhender le « temps industriel »
Le temps industriel est un temps long : déployer une technologie, développer une filière, fiabiliser un produit, de l’Airbus A380, au réacteur EPR, en passant par le TGV, ou le dernier moteur à combustion qui sera produit par millions, c’est long et n’est pas souvent compatible avec certaines incantations et impatiences exprimées par des idéologues (surtout âpres au gain et profit immédiats) qui proposent de remplacer des secteurs entiers par des filières qui ne sont pas mûres et ne dépassent même pas le stade de la paillasse de laboratoire ou du prototype. Ces discours « de la table rase » ont des effets catastrophiques car mettant sous pression des industries entières sommées constamment de justifier de leur utilité, devant sans cesse s’excuser d’exister, provoquant ainsi de graves crises des vocations (la meilleure façon de tuer une filière : envoyer le signal qu’on n’investira plus dans ce domaine, vous videz alors les écoles d’ingénieurs). Comment s’étonner que les facultés de sciences se vident de façon aussi dramatique ? Faut il rappeler qu’il faut 5-6 générations d’effort, de travail, pour développer une filière industrielle d’excellence dans un pays, mais seulement 5 à 10 ans pour la détruire ? C’est ainsi qu il faut veiller à ne pas relayer des discours faciles d’anticipation de la fin de telle ou telle technologie. Ce n’est pas faire preuve d’avant-gardisme de prôner le « nouveau » systématiquement et de vouloir tout remplacer avec une nouvelle idée tous les 2 ans : ce n’est pas sérieux. On devient les idiots utiles du système car ce sont ces discours qui déclenchent en silence la disparition du peu d’industrie qui nous reste : on rejoue en version moderne la fable de « Perrette et le pot au lait », en perdant ce qu’on sait déjà faire avec la promesse de nouvelles filières qui ne verront pas le jour car non viables. Et la finance, s’intéressant de moins en moins aux usines, à la rentabilité médiocre par rapport à la spéculation, s’en frotte les mains.
Un oubli fréquent : le support matériel de la « révolution numérique »
C’est une figure de style au parti : quand on parle de révolution numérique , on parle de bla-bla-car, d’Uber, de Waze, on parle des Gafa, on explique qu’il y a d’immenses potentialités avec les « communs » grâce aux logiciels libres…avec des formules favorites « un autre internet est possible ! si on se donnait les moyens d’une maîtrise publique » etc. , mais dans ces Rdv et colloques, journées d’étude, on évite soigneusement d’inviter un syndicaliste d’Orange, ou d’Alcatel (maintenant racheté par Nokia), ou un ingénieur des télécoms, de l’industrie informatique ou des nouvelles technologies : il n’y a de place que pour les hackers, ou les militants du logiciel libre . C’est symptomatique d’un parti qui n’a plus les moyens d’appréhender le cœur des évolutions profondes dans des pans entiers de l’économie faute de salariés y travaillant, mais plus grave encore, faute même de réelle volonté de comprendre ce qui s’y joue. Il est en effet à la portée de n’importe qui, même de quelqu’un qui n’a jamais travaillé dans ces secteurs, d’avoir la présence d’esprit d’inviter un ingénieur de cette filière afin de nous parler du support de cette révolution numérique : la fabrication des serveurs, des réseaux, des fibres optiques, des composants électroniques, sans lesquels internet et tout le reste n’existeraient pas. Une entreprise comme Alcatel a été rachetée 3 fois déjà, peut être serait-il temps de s’y intéresser et de comprendre que les « données » et leurs traitements sont une dimension essentielle, mais que les « tuyaux » les transportant et ceux qui les fabriquent, sont tout aussi importants. De grands mouvements se font dans le monde impitoyable du capitalisme, pour récupérer des brevets et des savoir-faire précieux de cette industrie. A défaut de pouvoir/vouloir aborder ces sujets, de sincèrement et collectivement les travailler, on se limite tout au plus à la réflexion d’un ou deux camarades, et on se contente des aspects périphériques à notre portée, et flattant ce qu’on croit déjà savoir, ce qu’on a entendu mille fois ici ou là dans les médias. Et ne cachons pas ce penchant : ce sont surtout les idées les plus compatibles avec une culture de type cyber-punk, proche de l’univers d’anarchistes « hacker » de la côte ouest états-unienne, qu’on favorise et valorise, celles qui sont à la portée d’utopistes contemplant le monde du haut de leur bureau, mais n’ayant jamais vraiment travaillé dans ces secteurs.
L’économie immatérielle est de plus en plus… matérielle.
Il est toujours frappant de voir des personnes avec de forts penchants vers la décroissance exposer leurs thèses sur les réseaux sociaux, par mail, par blog, en expliquant que l’économie est de plus en plus immatérielle et qu’on peut économiser énormément d’énergie et de matière première grâce aux nouvelles technologies. Pourtant, c’est tout le contraire, ces technologies pour exister, nécessitent énormément de matière première et d’énergie. Derrière les heures passées sur les réseaux sociaux, il y a une consommation énergétique phénoménale pour faire fonctionner les serveurs et centres de données. D’autre part l’exigence de miniaturisation, paradoxalement, est un facteur aggravant sur le plan environnemental : elle demande d’aller chercher des matériaux de plus en plus rares, et derrière l’apparence « anodine » d’un smartphone, cet accès à internet qui tient dans notre poche, il y a toutes ces mines en Afrique, en Chine, de plus en plus immenses pour justement assouvir notre soif d’« économie immatérielle » : internet, smartphone, écrans plats…. Bien sûr, si un jour on avait idée d’ouvrir de telles mines en France : nous aurions à coup sûr des ZAD partout et des millions d’internautes mobilisés pour dire « non », avec des outils nécessitant donc massivement ces métaux rares: relevons cette absurdité. Mais tant que les mines sont ailleurs qu’en France …
Le « pétrole de demain » ce sera… le pétrole !
C’est l’expression la plus agaçante qu’on entend ici et là dans les média mais aussi reprise dans nos milieux militants : « les données informatiques sont le pétrole de demain », pour sensibiliser aux enjeux autour du « big data ». On peut traiter un enjeu sérieux (le traitement des données) sans être obligé de verser dans le sensationnel. Non, le pétrole de demain, ça restera encore le pétrole… et pour longtemps ! en effet, comme dit plus haut, pour maintenir toutes ces technologies en fonctionnement, ce seront surtout les matières premières et d’énergie qui manqueront cruellement demain à l’Humanité. On fera des guerres de plus en plus dures pour acquérir les dernières ressources pétrolières, car cette ressource restera indispensable dans certaines applications. Et il en va de même pour toutes les matières premières : y compris un minerai aussi banal que le cuivre !
La matière reste essentielle
Oui la révolution numérique a un impact dans pratiquement tous les métiers, elle permet un travail collaboratif plus important, une meilleur réactivité, des projets conçus en amont avec une précision de plus en plus fine, les logiciels sont de plus en plus ergonomiques et capables de véritables prouesses de calcul. On est loin du temps où il y a 40-50 ans, des équipes entières de techniciens et ingénieurs dans les bureaux d’étude, faisaient et re-faisaient des calculs à la main, et derrière, les re-vérifiaient encore une fois , et ceci pendant des semaines. Aujourd’hui cette étape peut se faire en quelques heures et par une seule personne, grâce à des logiciels dédiées. C’est un progrès spectaculaire, mais qui ne doit pas non plus nous illusionner sur la part qui relève du « numérique » et celle qui relève de « la mise en œuvre de la matière » qui reste malgré tout essentielle dans la valeur ajoutée : elle conditionne même toute la chaîne de production. Prenons un exemple: pour faire un réacteur EPR, il y a des années de calcul, de conceptions, d’essais, de prototypages, avec des logiciels puissants, du travail impliquant des dizaines d’équipes, des milliers d’ingénieurs et de chercheurs, où le numérique va effectivement jouer un grand rôle.Mais une fois le projet stabilisé, il faut le réaliser concrètement, cela implique de savoir couler du béton de qualité, de produire et souder de l’acier de haute qualité, sur place de s’assurer de la qualité de la réalisation en conformité avec les plans, affiner les systèmes électro-mécaniques, l’électricité de haute puissance etc. et savoir faire travailler des dizaines d’entreprises à la fois, effectuer tous les contrôles…. et tout cela devra être répété pour des dizaines de réacteurs (si on part sur l ‘hypothèse d’un renouvellement du parc nucléaire en France), et même sur des centaines d’exemplaires, si on vise un objectif de déploiement mondial. On comprend alors que la part de conception restera mineure face à la réalisation concrète de ces exemplaires (même si la part du numérique ne disparaît pas complètement loin de là). L’exemple de l’EPR reste valable pour les grands projets industriels. Et c’est le grand problème en France : on perd ce « savoir-faire » de mise en oeuvre, il suffit de voir les retards de l’EPR avec toute une génération qui doit réapprendre à traiter ce type d’ouvrage, les retards de différents chantiers et les multiples erreurs et bug dans l’industrie. On manque de main d’œuvre qualifiée au sens large, d’ingénieurs de terrain, le « savoir-faire français » bat de l’aile. Cela est en partie dû au fait qu’on a longtemps cru que « tout était numérique » et que l’essentiel s’y jouait, qu’il suffisait d’avoir un beau dessin technique sur son écran d’ordinateur en 3 D avec des détails et une anticipations de tous les paramètres très poussée, aboutissement d’années d’études et de recherches d’équipes d’ingénieurs, pour se donner l’illusion que le plus dur était fait. Non, il faut aussi que la réalisation sur place puisse suivre, et elle exige peut-être des compétence encore plus poussées : la nature, le terrain, ça ne pardonne pas, et ils sont incomplètement restitués à travers les logiciels.
Le PCF doit renouer avec le monde du travail, loin des illusions technologistes
L’industrie, c’est en effet la grande question, le grand enjeu, auquel fait face notre pays.
La France est-elle condamnée à être un pays parsemé de ronds-points et de centres commerciaux sans usine avec des « job à la con » (jobs qu’on retrouve dans ces même centres commerciaux) ?
Doit-on condamner toute une génération à des métiers absurdes et dévalorisants, et devenir, comme le prédisait Condoleezza Rice, un grand parc d’attraction Disneyland pour riches touristes du monde entier ?
Doit-on pointer le problème de la désindustrialisation, juste durant les analyses de lendemain d’élections pour déplorer le vote massif pour le FN dans les territoires périphériques, ceux frappés le plus durement par la désindustrialisation, et l’oublier quelques semaines plus tard, jusqu’à la prochaine élection ?
Un parti communiste, digne de ce nom, doit avoir ce sujet comme une des préoccupations centrales, au cœur de son projet.
Cette question est souvent la grande oubliée de nos textes de congrès. Une fois tous les 2- 3 ans un colloque lui est consacré durant un WE au siège du PCF, et nous nous quittons en nous promettant de poursuivre le travail et d’y consacrer des campagnes de longues durées. Pourtant il n‘en est rien. Il y a bien des initiatives comme celle de la commission économique et tout le travail autour d’Alstom et maintenant autour de la SNCF et la reprise de sa dette, avec des pétitions et des démarches rassembleuses : mais ces initiatives devraient être démultipliées et avec des moyens et un soutien politique d’une toute autre ampleur.
Il faut changer d’état d’esprit, renoncer aux utopies faciles, technologistes, et retrouver le chemin du dialogue avec les syndicalistes, les professionnels, osons même un « gros mot » : avec les experts de ces domaines. C’est un chemin plus difficile, mais c’est le seul valable si on veut que la gauche, notre parti en particulier, retrouve force et crédibilité.