Partis et mouvements de la collaboration (*) d’après Pierre Philippe Lambert, Gérard Le Marec
L’ouvrage, très documenté, constitue une source pour l’étude des organisations collaborationnistes de 1940 à 1944. Trente et une organisations nationales, grandes ou petites, et onze organisations régionalistes, autonomistes ou indépendantistes sont prises en compte. Certaines se sont révélées durables, d’autres éphémères, elles ont bénéficié de plus ou moins de notoriété. Toutes d’une façon ou d’une autre ont été actives dans l’orbe du régime de Vichy ou en collaboration directe avec le Troisième Reich. Leurs courants d’origine sont diversifiés, leurs cibles et les destinataires de leur propagande peuvent être spécialisés, le champ social et politique sur lequel ils se déploient est en effet très large, de l’extrême droite à l’extrême gauche, en y incluant les régionalistes et les divers autonomistes.
En se centrant sur une étude sommaire du vocabulaire, tel qu’il ressort des données recensées par les auteurs, on note en première approximation, que ces organisations présentent plusieurs points communs : une aversion à l’égard de la République, du communisme, du marxisme, de l’Union Soviétique, mais aussi du “camp” des anglo-américains, une idéologie plus ou moins racialiste, antisémite, une prise de position en faveur d’un mode d’organisation “vertical” de la société (de type fasciste, ou corporatiste). On a retenu pour l’étude partielle du vocabulaire vingt-six organisations, cinq n’ont pas été prises en compte.
Si l’on considère la dénomination des différents mouvements, on remarque que les mots les plus utilisés sont parti (6), comité (5), jeunes et jeunesses (4), mouvement (3). D’autres vocables sont proposés : rassemblement, Ligue, Front, Croisade, Formation, gardes, groupe, cercle, le Feu. à ces différents termes en sont associés d’autres qui signalent les orientations politiques de référence et les catégories sociales visées. La prévalence des mots France, français(e) (12), national (3), marquent la volonté de séduire un public qui n’est sans doute pas vraiment acquis à l’abaissement national. D’autres associations signalent ce même type de préoccupation, couplé au souci de “récupérer”, comme dans le modèle fasciste allemand, les courants socialistes et communistes : national syndicaliste, national-collectiviste, national-communiste et national-socialiste (6). L’usage des mots Révolution, révolutionnaire (5), Peuple et populaire (3) vont dans le même sens, on se propose de séduire les partisans d’un changement social qui puisse être favorable aux classes laborieuses. En revanche, dans les intitulés de ces mouvements Europe nouvelle, Europe, européen(ne) ne sont proposés que trois fois. D’autres associations isolées sont encore présentées : franc, franciste, entre aide sociale, solidarité, jeunesse, ouvrier, mais aussi collaboration, épuration de la race ; paysan, social, éclair, hitlériens, énergies, antibolchévique, Maréchal, Téméraires, secours immédiat, cheminot.
Par le choix des mots et des expressions retenues, les différents mouvements tendent à se présenter comme soucieux de défendre la France, la nation, le peuple, les travailleurs (70 % des dénominations). Seuls douze termes (21 %) annoncent, si l’on peut dire, ouvertement la couleur : nouvelle Europe, antibolchévique, collaboration, hitlérien, épuration de la race.
Si l’on accepte les analyses des auteurs de l’ouvrage, les divers mouvements seraient issus (en ligne directe ou non) des courants politiques suivants : onze (soit 42 %) de la mouvance communiste, dont cinq du Parti communiste, deux de la mouvance socialiste, du syndicalisme, un de l’anarcho-syndicalisme (Gustave Hervé), un du “robespierrisme laïc” (?), dix (soit 38 %) d’organisations se réclamant du fascisme, des ligues et mouvements d’extrême droite d’avant-guerre, dont cinq liées aux Anciens Combattants ; deux se réclament du pétainisme et un de la chrétienté et du catholicisme.
Il resterait à apprécier à quoi précisément ces « origines » supposées sont rapportées : s’agit-il seulement des appartenances antérieures d’individus ou groupes ou d’une relation de nature idéologique ou théorique ? Parmi ces mouvements, on note en outre que deux d’entre eux rassemblaient déjà auparavant des intellectuels militant ouvertement pour la domination allemande et contre le judaïsme.
Toujours en se référant à quelques données du vocabulaire, les thématiques centrales des vingt-six organisations paraissent s’ordonner autour des sujets suivants (plusieurs thématiques étant croisées, le total dépasse les 100 %). Les formulations “contre” (ou anti) sont dominantes, elles se réfèrent à des cibles qui sont encore aujourd’hui à l’ordre du jour.
— Anti-soviétisme (62 %) (anti-moscoutaire, anti-URSS, anti-bolchevisme, contre les agents français de Staline, contre Staline)
— Anti-communisme, anti-marxisme, anti-socialisme, contre la lutte de classes (42 %)
— Anti-capitalisme (27 %) (contre le capitalisme, contre les banquiers, contre l’or)
— Contre la Grande Bretagne, les états-Unis (19 %)
— Contre les étrangers exploiteurs (7 %)
— Anti-sémitisme, anti-judaïsme (19 %)
— Thème défensif et/ou sécuritaire (pour sauver la patrie, contre les terroristes) (7 %)
Les réalités qui sont valorisées sont finalement en retrait par rapport à l’expression de ce qu’il s’agit de combattre, elles concernent de façon à peu près égale la politique de collaboration avec l’Allemagne dans le cadre de l’Europe, et l’ordre nouveau instauré par la “révolution nationale”
— collaboration franco-allemande, positivement connotée (10 %)
— Allemagne positivement connotée (19 %)
— Europe nouvelle, l’Empire grand européen, positivement connotés (27 %)
— Révolution, la Révolution nationale, socialisme national, l’ordre nouveau, positivement connotés (26 %)
— Thèmes “sociaux” (amélioration sociale, défense du peuple) (7 %)
— Thème corporatiste (corporations, association capital / travail) (7%)
Si l’on se centre sur les thèmes et non plus sur les seuls intitulés des groupements, on note que la posture populaire et/ou révolutionnaire n’est affirmée que dans un peu moins de 15 % des cas, tandis que les proclamations en faveur de la collaboration, de l’Allemagne, contre le communisme, l’Union Soviétique, le camp des alliés, les juifs, dominent largement. à cet égard, les deux “camps” en présence sont clairement désignés ainsi que la prédilection pour celui qui se trouve encore en position de force. Le camp de “l’Europe nouvelle”, de l’Empire grand européen, de l’Allemagne, de la collaboration franco-allemande est bien entendu celui qui se trouve positivement connoté. Le camp adverse, négativement connoté, regroupe l’URSS et les moscoutaires, les agents français de Staline, la Grande-Bretagne, les USA. En termes de luttes entre puissances, les organisations de la collaboration ne masquent pas leurs préférences, ils désignent clairement tant leurs amis, que les ennemis à abattre.
Il existe ainsi un certaine discordance entre les intitulés des divers mouvements et leurs thèmes de prédilection. Si les objectifs effectifs se donnent à voir dans les thèmes de propagande, les organisations s’efforcent de “ratisser large” en usant de dénominations, qui peuvent se révéler des anti-phrases. Quatorze d’entre elles font référence aux travailleurs, aux exploités de tout type, sept aux jeunes, quatre aux enseignants, universitaires, intellectuels, trois au patronat, petit et grand, à l’artisanat, une aux classes moyennes, une aux anciens combattants, une aux familles de prisonniers. Les jeunes et les travailleurs sont ainsi principalement ciblés.
(*) Ed. Jacques Grancher, Paris, 1993.