19 novembre 1937. Dialogue sur les causes premières

Dialogue reconstitué à partir des notes sur l’entretien entre le Führer Chancelier Hitler et Lord Halifax en présence de M. le Ministre des Affaires Étrangères du Reich, qui eut lieu le 19 novembre 1937. (Archives de la Wilhelmstrasse… Série D, Bd I, ou Documents et matériaux se rapportant à la veille de la Deuxième Guerre mondiale, Tome 1, Ministère des Affaires Étrangères de l’URSS.)

Lord H. — Nous reconnaissons que vous n’avez pas seulement rendu de grands services à votre pays, mais que vous avez su encore, en empêchant la pénétration du communisme chez vous, lui barrer le chemin de l’Occident. Aujourd’hui, notre pays est d’avis que les malentendus actuels peuvent être complètement éliminés par un examen étendu et loyal de toutes les questions intéressant nos deux pays.
Chancelier H. — Une entente me paraît très facile à réaliser, s’il n’est question que de bonne volonté et de courtoisie mutuelle ! Mais les choses se compliqueront si des questions pratiques essentielles sont soulevées, et notamment celle-ci : les pays européens sont-ils prêts à reconnaître nos besoins vitaux ? Vous savez, il existe deux possibilités de régler les rapports entre les nations : le jeu des forces libres qui, dans bien des cas, équivaudrait à une intervention active dans la vie des peuples, ou le règne de la raison supérieure. Mais il faut bien se rendre compte que cette raison supérieure doit aboutir à des résultats à peu près semblables à ceux qu’aurait produit l’action des forces libres. Et en considérant les sacrifices que la méthode de la raison peut certainement exiger, ici et là, il faut se représenter quels sacrifices imposerait le retour à l’ancienne méthode du jeu des forces libres tel que nous y fûmes poussés en 1919. Car c’était là, en définitive, notre seule possibilité de nous assurer les droits les plus élémentaires.
Aujourd’hui, l’avenir dépend du choix que l’on fera entre ces deux méthodes.
Lord H. — Nous sommes réalistes. Nous ne pensons pas que le statu quo doive nécessairement rester en vigueur et que les choses soient immuables. Nous reconnaissons que l’on peut envisager une adaptation aux conditions nouvelles, le redressement des anciennes erreurs ; nous reconnaissons que des changements de l’ordre européen pourraient se produire avec le temps. Au nombre de ces changements figurent Dantzig, l’Autriche et la Tchécoslovaquie. La seule de nos préoccupations, c’est que tout changement se produise par une évolution pacifique. Nous exercerons notre influence pour que les modifications ne se fassent pas au moyen des décisions inconsidérées dont vous avez parlé, à savoir : par le jeu des forces libres, qui en dernière analyse signifie la guerre.
Si nos deux parties sont d’accord pour reconnaître que le monde n’est pas statique, il faut essayer, en s’inspirant d’idéaux communs, d’en tirer les conclusions qui s’imposent en orientant toutes les énergies vers un but commun dans une atmosphère de confiance mutuelle.
Chancelier H. — Malheureusement, j’ai l’impression que les solutions sensées rencontreront de grandes difficultés… Surtout dans les pays démocratiques où les partis ont la possibilité d’exercer une influence décisive sur les actes du gouvernement. Aujourd’hui, dans ces pays, on substitue aux décisions sensées qui s’imposent les mots d’ordre démagogiques des partis politiques, le gouvernement subit l’influence déterminante d’une presse irresponsable. C’est là sans doute un surcroît de difficulté considérable. Notre pays ne peut attendre de ces pays la moindre concession pour satisfaire à ses besoins vitaux les plus naturels, car, dans ces pays, c’est le règne des partis. Or, c’est un fait que certaines nations ne disposent pas d’un espace vital suffisant. Si votre pays, avec ses quarante-six millions d’habitants, était obligé de ne vivre que sur des ressources de la métropole, vous comprendriez la chose peut-être mieux. Toutes les préventions dans la question coloniale sont dues à ce fait : on considère comme allant de soi que l’Amérique et la Russie soviétique disposent de territoires étendus ; que l’Angleterre possède un quart du globe ; que la France ait un empire colonial, que ces petits États tels que la Belgique, l’Espagne, le Portugal aient des colonies, et qu’en tout cas on ne saurait empêcher le Japon d’agrandir son territoire ! À nous seuls on déclare, en tout état de cause, nous ne pouvons avoir de colonies !
C’est ce qui caractérise l’attitude des partis qui, comme les conservateurs anglais, par exemple, ont pris des décisions absolument négatives sur la question coloniale. Alors, à quoi bon inviter à une collaboration positive un pays que l’on a dépouillé des droits les plus élémentaires dans certaines questions. Et l’on ne trouvera que difficilement la possibilité de résoudre les problèmes internationaux aussi longtemps que les partis ne seront pas devenus plus sages, ou qu’on n’aura pas établi des formes de gouvernement interdisant aux partis d’exercer une influence aussi considérable sur les gouvernements.
Lord H. — Si vous considérez qu’aucun progrès n’est possible dans la voie d’une entente aussi longtemps que nous resterons un pays démocratique, il est clair alors que nous avons perdu notre temps en venant ici à Berchtesgaden.
Et c’est une erreur de croire notre gouvernement l’esclave des intrigues démagogiques des partis politiques. D’autre part, nous ne sommes nullement d’avis qu’il ne faille pas, quelles que soient les circonstances, discuter avec vous la question coloniale. Cette question ne peut être considérée que comme un élément du règlement d’ensemble qui doit amener le calme et la sécurité en Europe. Bien entendu, les autres États intéressés doivent également être invités à prendre part à ce débat sur le règlement général.
Chancelier H. — Vous m’avez mal compris. Mes remarques à propos de la démagogie des partis politiques se rapportent avant tout à la France où elles sont vraies à cent pour cent. Au fond, il n’existe qu’un seul désaccord entre l’Angleterre et l’Allemagne : c’est la question coloniale.
Lord H. — La question coloniale est sans doute difficile. Nous sommes d’avis qu’elle ne peut être résolue qu’en tant qu’élément d’une nouvelle orientation et du règlement général de toutes les difficultés. Mais ne pourriez-vous pas me dire comment vous vous représentez, dans ses grandes lignes, la solution du problème colonial ?
Chancelier H. — Dans la question coloniale, ce n’est pas à l’Allemagne de formuler des vœux. Je vous l’ai déjà dit : il existe deux solutions. D’abord le jeu des forces libres : ce que l’Allemagne prendrait dans ce cas comme colonies, on ne saurait le dire… La seconde possibilité, ce serait une solution raisonnable. Les décisions raisonnables doivent être fondées sur le droit. Autrement dit, l’Allemagne peut prétendre à ses anciennes possessions. Mais, je le répète, l’Allemagne n’a pas à formuler de vœux. Il suffit que l’on se place sur le terrain du droit. Que l’Angleterre et la France fassent elles-mêmes des propositions, si pour une raison ou pour une autre le retour de telles ou telles colonies allemandes leur semble indésirable…

Qu’elles en offrent d’autres en échange !
Lord H. — Nous ne pouvons être tout à fait d’accord avec vous sur certains points, mais Chamberlain et le gouvernement anglais seraient heureux si, après les amples et franches déclarations faites aujourd’hui par les représentants des deux gouvernements, l’entretien pouvait se poursuivre sur telles ou telles questions.
Chancelier H. — Pour prolonger le contact germano-anglais, la voie diplomatique est celle qu’il faut envisager. Il est évident que le problème le plus complexe est le problème colonial où les parties sont encore très éloignées l’une de l’autre.

L’Allemagne ne peut que formuler ses revendications et espérer qu’elles trouveront un accueil raisonnable.
Lord H. — Il est nécessaire de prolonger le contact anglo-allemand.
Il faut qu’il y ait à nouveau des pourparlers directs entre les représentants de nos deux gouvernements. Ces pourparlers seront utiles quant au fond et feront grande impression sur l’opinion publique. On pourrait par la même occasion examiner la question coloniale. Mais il convient de s’attaquer en même temps, sur un large front, à la solution de toutes les questions à régler.
Chancelier H. — Une action menée sur un large front exige d’être bien préparée. Mieux vaut ne pas engager des pourparlers du tout que d’en être réduit par la suite à reconnaître leur résultat insuffisant. Il faut attendre.

On dit toujours que si telle ou telle chose ne se produit pas, l’Europe ira au-devant d’une catastrophe. La seule catastrophe, c’est le bolchevisme. Tout le reste peut se régler. La hantise d’une catastrophe est l’œuvre d’une presse exaltée et malveillante. C’est la presse et elle seule qui cause les neuf dixièmes de toute la tension actuelle.
Ce qui contribuerait directement à détendre les relations internationales, ce serait la collaboration de toutes les nations en vue d’en finir avec les forbans du journalisme !

Lord H. — Je suis d’accord avec vous quant au danger émanant de la presse. Mais, par-delà le risque d’une interprétation inexacte par la presse, il faut que nos deux parties visent le même but : asseoir solidement la paix en Europe.
Chancelier H. — Un homme comme moi, qui a été soldat dans la guerre mondiale, ne veut plus la guerre. Les mêmes tendances règnent en Angleterre et dans tous les autres pays. Un seul pays, la Russie soviétique, pourrait gagner à un conflit général. Tous les autres sont, au fond du cœur, pour la consolidation de la paix.

***

Fin 1937, s’est ainsi jouée, parmi d’autres, cette partition « réaliste » à deux voix, dans le but « d’asseoir solidement la paix en Europe », Lord Halifax, évoquant les « grands services » rendus à « l’Occident » par son partenaire, au service des « idéaux communs » de la lutte pour « barrer le chemin » au communisme, admet qu’il faille modifier le statu quo issu de la Première Guerre mondiale, notamment par l’évolution de « l’ordre européen » du côté de l’Est. En contrepoint, le chancelier du Reich insiste sur le fait que seule la Russie Soviétique nourrit des visées bellicistes, son pays n’ayant pour sa part que des « besoins vitaux » et « droits élémentaires » à faire prévaloir, n’exigeant de ses alliés occidentaux, pour éviter le jeu des « forces libres », que les « sacrifices » que l’on doit à « la raison supérieure ».
Toutefois, par la faute de « la presse exaltée et malveillante », « cause des neuf dixièmes de la tension », par la faute des partis politiques « se rapportant avant tout à la France » et qui ne sont pas devenus tout à fait « assez sages », c’est bien le jeu des “forces libres” qui prévaudra en 1939.
Considérés dans leur essence, on peut estimer que les protagonistes des puissances impérialistes sont identiques et le dialogue rapporté semble en faire foi. Cela n’implique pas qu’ils poursuivent des objectifs analogues et des tactiques analogues. Il s’agit pour les uns de maintenir le partage établi, pour les autres d’un repartage des zones d’influence qui implique une modification du statu quo. S’il est dans la logique des puissances en place de vouloir conserver et consolider leurs positions, il est dans la logique de ceux qui s’estiment lésés de vouloir conquérir, ou reconquérir, des positions et de vouloir opérer un repartage en leur faveur. Tant que les conditions sont inchangées, ces objectifs stratégiques ne valent pas seulement pour une guerre donnée ou pour un régime donné.
Il ne convient pas de sous-estimer l’importance des formes du pouvoir politique, mais celles-ci, pour ce qui a trait aux contradictions entre puissances impérialistes, ne sont que les formes prises par leur rivalité, qui dépendent elles-mêmes des enjeux stratégiques et conditions propres à chaque partie. La nécessité de la guerre n’est pas à imputer au seul Hitler ou au nazisme, celui-ci donne les conditions d’une préparation à la guerre, il est un produit de la nécessité de la guerre pour le repartage. Ce ne sont pas les formes du pouvoir politique qui suscitent la nécessité agressive, c’est la nécessité de réaliser la volonté de repartage qui rend compte de l’instauration de formes politiques les plus aptes à prendre en charge cette nécessité. Pour opérer un repartage du monde, contre un partage existant, il convient d’abord de subjuguer en son sein les antagonismes de classes afin de pouvoir jouer la partie dans les meilleures conditions possibles au sein des rapports de forces impérialistes. Les causes premières.

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