I. Dissolution et contournement de la notion fascisme

Des visions opposées de phénomènes historiques communs se sont toujours affirmées. Pour ce qui a trait au fascisme toutefois, une seule vision tend à envahir le champ des représentations autorisées. Un “nouveau sens commun” a été forgé et s’est diffusé dans l’ensemble de la société, refoulant les points de vue contraires. Les instances gouvernementales, les programmes d’enseignement, les diverses organisations politiques, les medias, ont contribué à forger ce nouveau “sens commun”. Autre monde, autres mots, le Zeitgeist (l’esprit du temps) a changé souligne Bruno Groppo (2). De nouveaux « usages publics de l’histoire », une « politique de la mémoire », imposent de nouvelles lectures du passé. On se doit de rebaptiser les phénomènes historiques ou modifier le sens des mots, on construit de nouveaux “paradigmes” et on les vulgarise. Sur cette base on s’efforce de remodeler les “mémoires”, ou plutôt les représentations communes de processus historiques et politiques.

La dissolution du sens de la notion dans le registre commun

D’une décennie à l’autre, on constate à cet égard dans le vocabulaire commun une dissolution du sens de la notion de fascisme. Si l’on se reporte aux enquêtes conduites ces dernières années dans le cadre du Centre de Sociologie historique, on observe, pour la plupart des locuteurs, une difficulté à cerner la signification du mot, difficulté qui semble s’être accrue au cours des deux dernières décennies (3). Lorsqu’un effort de définition est requis, des termes peu spécifiés sont associés à la notion (racisme, nationalisme, dictature, dictateur, tyrannie, totalitarisme), la mention de quelques noms (Hitler, Mussolini, mais aussi Le Pen ou Staline) tient souvent lieu de caractérisation. à l’encontre des références le plus souvent admises, dans les dictionnaires notamment, on remarque cependant que le nazisme et le cas allemand sont plus souvent cités que le fascisme italien. Il en était de même lors d’une précédente investigation. Toutefois, à l’exception de quelques locuteurs parmi les plus âgés, l’évocation de ces “cas” n’est plus mise en relation avec un ensemble de traits spécifiques, aptes à caractériser les phénomènes historiques auxquels ils renvoient. Abolissant les déterminations sociales et politiques, une mise en relation de fascisme avec totalitarisme (ou avec communisme, Staline), est aujourd’hui proposée de façon significative, elle était peu fréquente vingt ans auparavant. On note aussi l’expression, alors rare, de références à l’Holocauste, à la Shoah. Il semble qu’il ne s’agisse là que de mots qui isolent un trait du nazisme, pour partie décontextualisé, sans véritable effort de caractérisation. D’autres éléments, les plus fréquemment mentionnés, nationalisme, racisme, dictature, ne permettent pas de cerner ce qui définit de façon spécifique le fascisme.

Sur cette base, on ne peut dégager de pré-conceptualisation cohérente de la configuration fasciste, comme il avait été possible de le faire il y a deux ou trois décennies. L’accent porté sur une “mémoire”, plus ou moins reconstruite, semble avoir contribué à évacuer un certain nombre de savoirs d’ordre historique ou politique, aboutissant à brouiller les représentations communes du fascisme.

Le contraste entre les deux séries de données, ne tient pas aux associations proposées au niveau du vocabulaire, mais aux capacités qu’ont les locuteurs de “concevoir” ce qu’est le fascisme en tant que catégorie politique et historique. En effet, lors de la précédente investigation, le fascisme se trouvait posé par une majorité de locuteurs, en tant que catégorie politique et catégorie historique.

— En tant que catégorie politique, l’accent était porté sur les notions de forme d’état, système, régime politique, doctrine, notions assorties de traits propres, en opposition à d’autres configurations (telles la république, la démocratie), en relation avec un mode déterminé d’organisation de la société. Des traits peu manifestes ou absents des définitions savantes se trouvaient mis en évidence : partie minoritaire s’imposant au tout, violence négatrice à l’égard des institutions politiques modernes (dont les organisations de classe), suppression de la liberté d’expression politique (dont celle du communisme).

— En tant que catégorie historique, le fascisme se trouvait clairement situé au sein de contextes socio-politiques déterminés. Des traits peu manifestes se trouvaient ici aussi dégagés : caractère réactionnel régressif en relation avec un état de crise, d’exacerbation des contradictions sociales et des rivalités économiques, retour à la barbarie, à “l’état de nature”, avec prévalence de la lutte de tous contre tous, visées dominatrices et expansionnistes, état de guerre entre les nations, nihilisme destructeur.

Embarras, évitement, dans le registre savant

Si l’on se réfère à plusieurs lexiques de spécialité (philosophie, droit, sociologie), publiés entre 1980 et 2010, on constate que la notion de fascisme peut être simplement écartée. Sur les dix-neuf vocabulaires ou dictionnaires consultés, seulement cinq ont une entrée fascisme, alors qu’il en existe treize pour la notion totalitarisme. Pour la période récente, l’évitement se manifeste aussi dans la discipline historique. Un indice en fut fournie dans la bibliographie recommandée pour le CAPES et l’Agrégation d’histoire 2003-2005 : « Les Sociétés, la guerre, et la paix 1911-1946 ». La partie intitulée « Approches comparées des dictatures et du totalitarisme », ne fait pas apparaître le mot fascisme dans ses intitulés. Bien qu’on puisse observer au cours des dernières années, un “retour” de la notion dans les titres de plusieurs publications, pour l’essentiel émanant d’auteurs étrangers (4), « l’éclipse du concept de fascisme » est patente, ainsi que l’ont souligné Bruno Groppo et Enzo Traverso. Ce dernier observait : « l’émergence d’une conscience histo­rique fondée sur la mémoire de la Shoah », sa singularité a contribué à cette éclipse dans l’historiographie ouest-allemande, le nazisme se trouvant dès lors exclu de la famille des fascismes (5), autorisant une “dé-fascisation” rétroactive du nazisme. Le racisme, l’anéantissement des juifs, ne sont pas ignorés, ils sont certes jugés inacceptables, mais les autres traits de la configuration fasciste nazie (dont la destruction des organisations politiques et des opposants, la politique d’agression extérieure conduisant à l’anéantissement de populations), sont méconnus, ou par contre coup se présentent comme acceptables, voire légitimes (6).

Esquiver le problème dans le registre savant, est de pratique ancienne. Pour l’essentiel entre les deux guerres, indique Pierre Ayçoberry, « Clio [la discipline historique] est restée muette », aucune analyse véritablement cohérente du fascisme n’ayant été produite dans les diverses disciplines des sciences humaines et sociales (7). Les définitions, les prises de position sont d’abord venues des fascistes eux-mêmes et de leurs opposants politiques, socialistes et communistes (8). à cet égard Robert Paxton rappelait que l’ennemi commun des élites libérales et conservatrices n’était pas le fascisme, mais le communisme, en conséquence il convenait de ne pas trop s’appesantir sur les processus de fascisation en cours.

Pour le nazisme, peu de caractérisations ont été proposées avant 1933, alors que le mouvement national-socialiste existait depuis une décennie et se développait vigoureusement. On pourrait dresser un bêtisier de tous ceux qui ne percevaient alors aucun danger, « ces timidités et aveuglements aboutissant à l’accord de Munich », écrit encore Pierre Ayçoberry. Ainsi en 1932, Rivaud, historien de la philosophie, estime dans les Crises allemandes, que le nazisme « a heureusement brisé ce qu’il y avait de pire dans le passé allemand, qu’il développe un humanisme aristocratique ». Rivaud fonde son jugement sur son aversion à l’égard du socialisme et du communisme, et sur une critique du « capitalisme égoïste » que le nazisme rendrait plus “social” (9). La dénégation du danger existe aussi à l’époque à gauche et à l’extrême gauche, au sein même du mouvement anti-fasciste. Nicole Racine signale ainsi qu’à partir de 1935, au sein du CVIA (Comité de Vigilance antifasciste), la lutte contre le « totalitarisme soviétique » l’emportait sur l’antifascisme et l’antinazisme, jusqu’à proposer, au nom de la préservation de la paix, un appui aux revendications territoriales du Reich, et l’ouverture de négociations dans ce but (10).

La capacité à définir le fascisme en tant que catégorie historique et politique ne paraît pas s’être développée dans la période contemporaine. On pourrait même penser qu’il y a eu recul. Le mot fascisme demeure pour beaucoup le « plus vague des mots politiques » comme l’a signalé Stanley G. Payne (11). Et selon Emilio Gentile, qui en propose une définition en termes de “culture”, « le fascisme peut sembler un objet mystérieux se dérobant à tout essai de définition historique claire et rationnelle » (12).

Parmi ceux qui s’étaient efforcés de dégager les traits des configurations fascistes, lors de l’entre deux guerres et de l’après-guerre, un véritable débat avait pourtant contribué à éclairer les enjeux des combats alors menés. En dépit des faiblesses, des errements inévitables, les questions posées se révélaient fécondes. Le fascisme est-il un legs de la Révolution française et du jacobinisme, ou s’affirme-t-il contre les institutions politiques de cette révolution ? Est-il révolutionnaire ou contre-révolutionnaire ? Peut-on parler d’une “troisième voie” entre capitalisme et socialisme, ou, de voie non démocratique du capitalisme ? Le fascisme propose-t-il une sacralisation de la politique et de l’histoire ou à l’inverse leur déni ». Enfin la question idéologique doit-elle être considérée comme centrale, monolithique, ou au contraire ne constitue-t-elle qu’une instrumentation, un bricolage rhétorique, masquant pour les besoins de la cause, une réalité conflictuelle et anarchique ?

Ces points de vue contradictoires s’affrontent encore, plus spécialement chez les historiens, parmi ceux qui ne considèrent pas le fascisme sous le seul angle de “l’idéologie” ou de la “culture”. Un autre questionnement s’est fait jour. Le fascisme appartient-il définitivement ou non au passé, s’agit-il d’une parenthèse, d’un épiphénomène, ou d’un phénomène dont on peut dégager les déterminations et les formes, permettant d’en imaginer ou non de possibles “réactivations“ ? Faute d’une catégorisation historique et politique cohérente, il semble qu’une position majoritaire se soit affirmée : le fascisme comme le communisme ont conclu leur cycle historique, ils appartiendraient désormais au passé. Quelques irréductibles, tel Robert Paxton, se demandent au contraire s’il n’existe pas des « prémisses de fascisme dans le monde actuel ».

Le contournement de la catégorie de fascisme et la notion de totalitarisme

Le fascisme a été appréhendé en fonction de différentes approches. Une première approche a d’abord été développée, on l’a rappelé, par les combattants de l’anti-fascisme, socialistes et communistes qui en étaient les cibles privilégiées (13). Une première approche a travaillé à dégager les caractères du fascisme italien, puis des autres fascismes. On peut contester ces premières théorisations, plus spécialement celle qui présentait comme « frères jumeaux » fascisme et social-fascisme, encore faut-il reconnaître que, contrairement au concept englobant de totalitarisme, les deux formes de même “origine” présumée (crise des formes bourgeoises de domination) étaient distinguées au niveau du vocabulaire (14). En dépit des limites ou méprises de ces caractérisations forgées dans le feu de l’action, la plupart visaient à mettre au jour un principe explicatif, des déterminations du phénomène, des causes, des enjeux : conjoncture historique, état des forces de classes et leurs formes de lutte, déterminations et enjeux que les théoriciens fascistes révélaient souvent eux-mêmes.

Surtout proposée par des littérateurs, philosophes, politistes, historiens, moins engagés dans la lutte immédiate, une deuxième orientation, a réservé surtout au cas italien, le terme de fascisme (son “jumeau” allemand ne constituant pas avant 1933 un objet d’étude). Par la suite, au sein de ce courant, une tendance à rapprocher nazisme et communisme, devait prévaloir. à l’intersection des deux courants, des modélisations descriptives ont été proposées, centrées sur l’un ou l’autre des fascismes les plus marquants (Italie, Allemagne), ou sur un “totalitarisme” pouvant les rapprocher tous deux du communisme soviétique.

Le concept de totalitarisme n’avait connu qu’une diffusion restreinte avant la Deuxième Guerre mondiale, du fait du rôle joué par les communistes dans le combat anti-fasciste, alors associé à la lutte contre le nazisme. Que l’on use ou non du mot, le procès en identification du nazisme et du communisme (ou bolchevisme) n’était cependant pas absent, dans les milieux libéraux et conservateurs principalement. En 1933, Jacques Bainville dans l’Histoire de deux peuples continuée jusqu’à Hitler, rapproche le fascisme italien, le bolchevisme et le national-socialisme qui tous trois se constituent autour d’un parti unique. En 1934, le Temps s’oppose à toutes « les dictatures de la révolution » (15).Dans son Mémorial de la guerre blanche, Georges Duhamel pose en 1938, que « nazisme et communisme se ressemblent comme des frères ». Le concept de totalitarisme trouve un plus large écho au moment du Pacte germano-soviétique (16).

Pour la plupart des commentateurs cependant, les deux phénomènes ne sont pas vraiment identifiables, on signale les différences liées aux finalités des substrats économiques, ou celles touchant au traitement des “minorités ethniques” (17). Après la Deuxième Guerre mondiale, ces distinctions essentielles tendent à ne plus être prises en compte. La notion de totalitarisme commence à s’imposer avec le début de la guerre froide, refoulant progressivement celle de fascisme. Elle peut se trouver reprise par des courants de gauche, jusqu’alors “allergiques”. Au cours des années 1949-1956, les publications portant sur le totalitarisme connaissent une nouvelle floraison. Se fondant sur les préposés même qu’on vise à établir, des définitions ad hoc sont produites, afin d’établir l’identité ou les « parentés » entre formes idéologiques et/ou politiques relevant de régimes sociaux opposés. En France, le « paradigme totalitaire » se diffuse avec un décalage dans le temps dans les années 70, la validité de ses présupposés y étant plus durablement mise en question. Le mouvement de Mai 68 semble avoir débouché sur une réévaluation positive de la “démocratie libérale” en même temps que sur une délégitimation radicale du communisme. On doit noter que désormais, y compris pour des militants de gauche, républicains, on flétrit plus volontiers son adversaire, fût-il de même couleur, en usant du terme totalitaire, plutôt que celui de fasciste (totalitaire valant en général pour désigner le communisme soviétique ou le stalinisme, avec pour variante, comme dans les années 30, l’assimilation du bolchevisme et du nazisme, au moyen du vocable “rouge-brun”).

Comme l’indiquait Philippe Raynaud dans le Dictionnaire de droit constitutionnel, le « concept de totalitarisme a servi à délégitimer les régimes communistes auprès des intellectuels ». S’ajoutant aux études de soviétologie, la comparaison entre communisme et nazisme devint au cours des dernières décennies, selon Bruno Groppo, « une préoccupation centrale de la recherche historique », le communisme étant souvent pris pour cible principale, son apparentement au nazisme n’étant utilisé que pour souligner l’atrocité supposée de son régime. Après la chute du Mur de Berlin, « le consensus antitotalitaire libéral » qui a porté sur les fonds baptismaux le « paradigme anticommuniste » a fait place nette, atteignant même l’antifascisme dont la légitimité se trouve contestée (18). La parution en France de l’ouvrage de François Furet, le Passé d’une illusion (1995) et du Livre noir du communisme (1997) ont constitué à cet égard un tournant, ce « nouveau mal absolu », se substituant au nazisme dont le caractère destructeur se trouve relativisé.

Dans l’élaboration de la notion totalitarisme, l’idéologie, la culture, l’imaginaire politique, les formes, avaient été privilégiées (19), au détriment des fondements économiques des régimes sociaux en cause et des enjeux historiques. Ce mode d’élaboration s’est transféré dans plusieurs travaux récents qui ont fait retour sur la notion de fascisme, la plupart de ces conceptualisations déconstruisent les repères relevant de sa catégorisation historique. Parallèlement à la réactivation des recherches sur le totalitarisme, les définitions du fascisme, se sont ainsi focalisées sur ses dimensions idéologiques et culturelles. Ainsi selon George L. Mosse, le fascisme se présente avant tout un « mouvement culturel » (20), les facteurs économiques et sociaux devant se trouver relégués au second plan. Les modèles d’explication marxistes jugés vulgairement « économistes ou historicistes » sont désavoués, sans véritable réfutation, la catégorie même de cause se trouve rejetée (21), au profit, de la « recherche du sens », en fonction d’approches de type herméneutique. En se détournant ainsi des déterminations, des “causes” ou enjeux du problème, toute tentative de mobilisation antifasciste, ne risque-t-elle pas de se borner à une joute dans le seul registre des idées, où le bon droit n’est pas sûr de pouvoir l’emporter ?

 

NOTES

(2) Bruno Groppo, « Histoire, mémoire, identité », in Historiens et usages publics du passé, Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 68, BDIC, 2002
(3) Voir « Représentations communes du fascisme », Cahiers pour l’analyse concrète, n°57-58.
(4) Citons, outre Robert O. Paxton, pour des ouvrages publiés en France : Philippe Burrin, Fascisme, nazisme, autoritarisme, Points Histoire, 2000 ; Collectif Mauvais temps, Fascismes, un siècle mis en abîme, Syllepse, 2000 ; Renzo de Felice, Brève histoire du fascisme, Audibert, 2002 ; Emilio Gentile, Qu’est-ce que le fascisme ? Folio Histoire, 2004 ; George L. Mosse, La révolution fasciste. Vers une théorie générale du fascisme, Seuil (1999), 2003 ; Pascal Ory, Du fascisme, Perrin, 2003.
(5) Enzo Traverso, « Les dilemmes des historiens allemands. La disparition du fascisme », in Le passé, modes d’emploi. Histoire, mémoire, politique, La fabrique, 2005.
(6) S’il s’avère possible de faire silence sur ces traits négateurs, la « solution finale », spécificité de la forme allemande du fascisme, ne peut se trouver effacée, le fascisme nazi se trouve dès lors défini au regard de ce racisme exterminateur (Shoah, Holocauste), posé hors de tout enjeu ou principe causal. Les efforts de caractérisation de la forme fasciste générique n’ont plus lieu d’être, on cherche seulement à retrouver la composante racialiste dans les autres manifestations du fascisme, notamment dans le cas italien.
(7) Pierre Ayçoberry, la Question nazie 1922-1975, Points Histoire, 1979.
(8) Les courants antifascistes ont été ainsi été les premiers à chercher à définir le fascisme, en relation avec des enjeux historiques et politiques. Voir à ce propos Serge Wolikov, « éléments pour une histoire de l’antifascisme », Université de Bourgogne, 1995 ; Thierry Hohl, « L’antifasciste, un questionnement historiographique ? », Université de Bourgogne ; Bruno Groppo « Antifascismes et identités politiques », Territoires contemporains, Jacques Droz, Histoire de l’antifascisme 1923-1939, La Découverte, 1985.
(9) Par la suite, Rivaud critiquera cependant les camps de concentration, tout en notant que les « clameurs d’Israël dominent les plaintes des autres victimes ».
(10) Nicole Racine, « Intellectuels pacifistes et antifascistes devant les menaces de guerre (1933-1939) », in Les sociétés, la guerre, la paix de 1911 à 1946, éd. du Temps, 2003. En 1938, des tenants de ce courant affirment encore qu’il n’existe pas de danger imminent, et qu’il ne faut pas faire le jeu des bellicistes, l’Allemagne ne désirant que la paix pour peu que ses revendications soient satisfaites Voir aussi les publications antérieures de Nicole Racine.
(11) Voir A History of fascism 1914-1945, UCL Press, 1995.
(12) Emilio Gentile, opus cité. L’auteur se propose de remédier à cette carence en élaborant une conceptualisation qui ne semble pas à même d’éclairer les “pourquoi” historiques du fascisme : « Le fascisme est un phénomène politique moderne, nationaliste et révolutionnaire, antilibéral et anti-marxiste, organisé en parti milice (partito-milizia), avec une conception totalitaire de la politique et de l’état, avec une idéologie activiste et antithéorique, avec des fondements mythiques, virilistes et antihédonistes, sacralisée comme une religion laïque, qui affirme le primat absolu de la nation, entendue comme une communauté organique ethniquement homogène, hiérarchiquement organisée en un état corporatiste, avec une vocation belliqueuse à la politique de grandeur, de puissance et de conquête, visant à la création d’un ordre nouveau et d’une civilisation nouvelle. »
(13). Voir Pierre Ayçoberry, et les contributions citées dans la note 8.
(14) Sans identifier mode fasciste et mode démocratique de régulation politique de la société bourgeoise, Gramsci signale qu’ils peuvent cependant répondre aux mêmes enjeux : « En quel sens peut-on affirmer que fascisme et démocratie sont les deux faces d’une même réalité, les deux formes différentes d’une même action, l’action que mène la classe bourgeoise pour arrêter la classe prolétarienne dans sa marche ? […] Il y a eu ces dernières années une parfaite division du travail entre le fascisme et la démocratie. Il est apparu évident après la guerre qu’il était impossible pour la bourgeoisie italienne de continuer à s’appuyer sur le régime démocratique. […] Quel service le fascisme a-t-il rendu à la classe bourgeoise et à la “démocratie” ? il s’est proposé de détruire jusqu’à ce minimum auquel elle se réduisait : la possibilité concrète de créer à la base un lien organisationnel entre les travailleurs et d’étendre graduellement ce lien jusqu’à embrasser les grandes masses en mouvement. Il s’est proposé d’anéantir les résultats déjà acquis dans ce domaine. » C’est nous qui soulignons.
(15) Réfutant la thèse de “l’identité révolutionnaire” entre communisme et fascisme, Robert Paxton, ne s’inscrit pas dans ce courant. Il rappelle notamment que le fascisme, contrairement au communisme, n’a pas eu à effectuer une vraie prise de pouvoir révolutionnaire (si l’on excepte les parades de théâtre), les forces conservatrices le lui ont laissé. Même idée chez George M. Mosse qui signale l’absence de véritable guerre civile lors des prises de pouvoir fascistes, ou chez Philippe Burrin qui parle  d’alliance informelle avec les forces conservatrices.
(16) Sur l’histoire des notions totalitaire, totalitarisme, voir Bernard Bruneteau, les Totalitarismes, Armand Colin, 1999, et, « Le totalitarisme : un concept en débats », Conférence, nov. 1999, www.ac.rouen.fr
(17) Idem, ibid.
(18) Dans le Passé d’une illusion, François Furet ne voit dans l’antifascisme qu’une “émotion” articulée sur une “négativité absolue”, qui permet d’unir démocrates et communistes, occultant le “vrai visage” des communistes.
(19) Karl Friedrich a voulu modéliser le totalitarisme en retenant six critères (d’ordre idéologique, “médiatique”, policier, militaire, économique, “technologique”). En dépit de la mention du champ de l’économie, de tels critères restent centrés sur des “formes” et n’éclairent pas sur les contenus sociaux, politiques, et même “idéologiques”.Voir K. Friedrich, Z. Brzezinski, Dictatorship and Autocraty, CHUP, 1965.
(20). Les définitions centrées sur l’idéologie ou la culture paraissent privilégiées depuis quelques décennies. Roger Griffin, The ideology of fascism, 1991 : « Le fascisme est un genre d’idéologie politique dont le noyau mythique, dans ses diverses permutations, est une forme palingénésique d’ultranationalisme populiste ». Roger Eatwell, Toward a new model of generic fascism, 1992 : « Le fascisme est une idéologie qui a cherché à déterminer une renaissance sociale sur la base d’une troisième voie radicale de type holiste et national, même si en pratique il a tendu à souligner le style, spécialement l’action et le chef charismatique, plus que les programmes détaillés, et s’est lancé dans la diabolisation manichéenne de ses ennemis ». S. G. Payne, opus cité : « [Le fascisme] est une forme d’ultranationalisme révolutionnaire pour la renaissance nationale, qui repose sur une philosophie fondamentalement vitaliste, et structurée sur un élitisme extrême, sur la mobilisation des masses et sur le Führerprinzip. Il a une attitude positive à l’égard de la violence comme fin et comme moyen et a tendance à donner un caractère normatif à la guerre et/ou aux vertus militaires ». George L. Mosse, la Révolution fasciste, 1999 : « Le fascisme fut partout une “attitude face à la vie” fondée sur une mystique nationale qui pouvait changer d’une nation à l’autre. Il s’agissait également d’une révolution qui s’efforçait de trouver une “troisième voie” entre le marxisme et le capitalisme, mais qui mettait davantage l’accent sur l’idéologie que sur le changement économique, sur la “révolution de l’esprit” pour reprendre les mots de Mussolini, ou sur la “révolution allemande” de Hitler […] »
(21) Hannah Arendt n’indiquait-elle pas déjà dans sa théorisation du totalitarisme que « la catégorie causale est trompeuse, extérieure aux sciences historiques ». L’évolution de cet auteur est intéressante à suivre, de 1942, où elle attribue à l’URSS le mérite d’avoir « tout simplement liquidé l’antisémitisme », dans le cadre d’une « solution juste et très moderne de la question nationale », jusqu’à parvenir à condamner en bloc, non seulement la révolution d’Octobre, mais aussi la Révolution française. Voir à ce propos Domenico Losurdo, le Révisionnisme en histoire, 1996, édition française, Albin Michel, 2006. D. Losurdo écrit : « C’est une évolution qui éclaire avec une évidence particulière la mutation radicale de l’esprit du temps, lors du passage de la grande coalition antifasciste à l’éclatement de la guerre froide et à l’élaboration consécutive d’une idéologie “occidentale” à la hauteur de la nouvelle situation ».

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