Gabriel Péri est né le 9 février 1902 à Toulon. Son père était directeur des services techniques de Marseille et sa mère était “mère au foyer”. Il adhère à l’organisation des Jeunes socialistes de Marseille à quinze ans. Après la Révolution d’Octobre 1917 en Russie, Gabriel Péri prend parti avec son groupe des Jeunesses socialistes pour l’adhésion du Parti socialiste à l’Internationale communiste, à l’appel du Parti Bolchevique d’août 1918.
à partir de là, il devient communiste et commence à écrire des articles dans le journal Clarté d’Henri Barbusse. Puis, au cours des deux décennies suivantes, il intègre l’Humanité en 1924, devient membre du Comité central, puis député en 1932, et enfin président de la commission des affaires étrangères de la Chambre des Députés, avant la dissolution du Parti communiste français en août 1939.
Arrêté et condamné à cinq ans de prison, cinq mille francs d’amende et cinq ans de privation de droits civiques par le Troisième tribunal militaire de Paris, le 3 avril 1940 « pour avoir participé à la constitution du Groupe ouvrier et paysan Français et avoir propagé des mots d’ordre de la Troisième Internationale », Gabriel Péri est interné à la prison de la Santé, puis transféré à la prison du Cherche Midi, placé sous contrôle allemand. Considéré comme otage par les Allemands qui entendent répondre aux attaques individuelles que mène le PCF depuis l’entrée en guerre de l’URSS, il fait partie des quatre-vingt-douze otages fusillés le 15 décembre 1941 au Mont Valérien.
Après ce rapide tour d’horizon sur les événements qui ont jalonné son histoire, l’attention sera portée sur ce qu’il a écrit, sur les textes qu’il a produit en relation avec la grande histoire. On se limitera à quelques écrits, qui rendent compte de l’intérêt qu’il porte à son pays, la France, cadre de son activité politique : comment il analyse la situation, plus spécialement au cours de la période où se préparent les conditions de survenue de la Deuxième Guerre mondiale, et comment, malgré les difficultés, les obstacles, il pose un avenir historiquement possible.
Défense de la patrie et du peuple
Après la crise de 1929, l’instauration du fascisme nazi en Allemagne en 1933, puis “l’embellie” que représente le Front Populaire en France, Gabriel Péri porte un intérêt particulier aux questions internationales. En 1936, malgré le succès populaire, il perçoit que le danger d’instauration du fascisme n’a pas disparu dans un pays comme la France, de façon plus préoccupante en Espagne. Il se déclare inquiet de la façon dont le gouvernement français traite la question espagnole, à la Chambre des députés dont il est un des élus, il critique la politique de “non-intervention”. L’attitude de la France face à la rébellion de Franco contre le gouvernement républicain légitime, lui semble devoir décider du sort de la paix ou de la guerre en Europe. « Elle signifiera qu’elle est prête ou non à se soumettre aux entreprises de domination, d’expansion et de guerre », ou alors elle imposera la paix. La rébellion de Franco se présente selon lui comme « un épisode de la grande offensive hitlérienne ». Le gouvernement français ne peut selon lui se détourner de cette affaire. D’une part pour des raisons de principe : la nécessaire défense des institutions démocratiques contre l’agression fasciste, d’autre part, pour garantir le maintien de la paix en Europe et la sécurité de la France. La politique dite de « non intervention », loin d’être neutre, rend en effet possible la fourniture d’armes aux franquistes par l’Allemagne et l’Italie, modifiant « donc le rapport des forces sur le champ de bataille » (1). Franco bénéficie alors du soutien militaire mais aussi financier de l’Allemagne via la banque de Hambourg, indique-t-il. L’analyse de Gabriel Péri vise à montrer que la volonté d’expansion de l’Allemagne ne s’arrêtera pas à l’Espagne. Aussi, les justifications de la politique de non intervention au prétexte du maintien de la paix en France, ne le convainquent nullement. « En cédant au chantage de la guerre on affaiblit les chances de la paix. On incite les maîtres chanteurs à menacer plus souvent et à exiger d’avantage. » Du point de vue stratégique, la victoire de Franco pourrait en outre rompre les communications de la France avec l’Afrique du Nord.
Son analyse de la situation devait malheureusement se révéler exacte.
Après la “livraison” de la Tchécoslovaquie aux nazis, par les anglo-français en septembre 1938, (accords de Munich), et l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne (Anschluss), Gabriel Péri dénonce la cinquième colonne hitlérienne qui selon lui sévit en France. Lors du procès fait à Lucien Sampaix, journaliste à l’Humanité, il dévoile les agissements d’organismes divers, de ministres, espions et valets de l’impérialisme allemand en France. Il s’agit pour lui de « bien servir la défense nationale », de pratiquer une « vigilance patriotique », pour le bien de la France et du peuple français, contre la trahison, la propagande nazie et ses représentants. Le soutien populaire aidant, Lucien Sampaix est acquitté. Cela ne met pas fin à la réaction et aux attaques contre le Parti communiste. Après la signature du Pacte germano-soviétique de non agression (2) le 23 août 1939, les journaux communistes sont saisis et interdits (3).
Le 1er septembre 1939, Hitler envahit la Pologne. Après le rejet par l’Allemagne de l’ultimatum anglo-français demandant le retrait des troupes, c’est la déclaration de guerre des anglo-français le 3 septembre. En mai, c’est le début de l’invasion allemande en France. Le 16 juin, Pétain devient président du conseil et dès le lendemain appelle les Français à cesser le combat, puis à collaborer avec l’envahisseur.
Une grande clairvoyance pour démasquer les fascistes “déguisés en révolutionnaires”
En avril 1941 quelques mois avant son exécution, Gabriel Péri rédige une brochure, intitulée Non, le nazisme n’est pas le socialisme. L’objet du texte est contenu dans le titre, il s’agit de mettre en garde les classes populaires contre ceux qui se servent des mots de socialisme et de révolution pour tenter de les tromper. Il s’agit de faire face à la propagande nazie en France, qui visait en effet (on l’a oublié) à présenter le fascisme allemand comme « révolutionnaire » et favorable aux intérêts du peuple. Sa critique s’étend aux partisans français de cette même propagande, les « charlatans de la Révolution Nationale », telle que la prônent les pétainistes et leurs affidés (y compris dans certaines franges d’extrême gauche). Ceux-ci, s’appuyant sur l’expérience allemande, s’activent pour faire passer le socialisme pour ce qu’il n’est pas. Gabriel Péri met en garde face à ceux qui crient que « l’ère des grands bouleversements a commencé », indiquant que cela peut « être un moyen de dissimuler les efforts souterrains que l’on tente pour conserver sous un nom nouveau le vieil ordre des choses ». Il ajoute : « Tu ne les croirais pas, tu refuserais de les entendre s’ils parlaient leur langage et s’ils se présentaient à toi tels qu’ils sont. Alors ils se maquillent et choisissent pour te parler les mots que tu as si souvent employés toi-même, les grands mots de socialisme, de révolution qui expriment tes aspirations et ton effort vers une vie meilleure et un monde plus juste ». Gabriel Péri fait référence ici au discours que pouvait tenir, entre autres, le Rassemblement National Populaire (4).
Dire que le capitalisme est malade est une chose, vouloir substituer à sa forme ordinaire, parfois au nom d’un présumé “anti-capitalisme”, une forme plus abominable est une autre chose. C’est ce que Gabriel Péri démontre en expliquant comment, en usant de rhétorique, de duperie, en s’appuyant sur des personnalités représentatives (« syndicalistes mercenaires, socialistes de contrebande, ou néo socialistes marrons ayant condamné comme d’inutiles et encombrants accessoires les enseignements les moins discutables du socialisme et des révolutions ouvrières »), les valets d’Hitler, espéraient parvenir à leurs fins : faire croire que le nazisme est le socialisme, ce qui constitue la plus horrible des duperies.
Il propose une analyse de la montée du fascisme en Allemagne. Il dévoile tour à tour le jeu des puissances industrielles du pays pour soutenir les entreprises d’Hitler et la manière dont elles s’y sont prises pour défaire l’organisation politique du mouvement ouvrier allemand. « Les procédés qu’employèrent les nazis allemands méritent d’être étudiés de très près. Ils seront peut-être expérimentés par les nazillons français. Il est bon que nous ne soyons pas pris au dépourvu ».
Gabriel Péri écrit : ce qu’ils nomment socialisme, « c’est tout ce contre quoi le socialisme s’inscrit en irréductible ennemi, c’est ce que le socialisme se propose d’abattre ».
Afin de pouvoir poser les différences de fond qui opposent indubitablement le nazisme et le socialisme, il propose un portrait des traits caractéristiques de chacun des termes :
Le socialisme a un contenu précis. […] Le socialisme nous révèle la contradiction qui creuse le tombeau du capitalisme » « [Il] révèle aux exploités le secret de leur exploitation et le moyen de briser cette exploitation […]. Le socialisme repose sur deux assises fondamentales : la propriété sociale des moyens de production, dans le cadre du respect de la petite propriété individuelle, fruit du travail personnel; la suppression de l’exploitation de l’homme par l’homme.
La Société Socialiste, c’est celle où les moyens de production appartiennent soit à la société toute entière, soit à la collectivité des producteurs qui les gère. La Société Socialiste, c’est celle où les moyens de production qui permettaient l’exploitation du travail d’autrui, étant devenus propriété sociale, la classe exploiteuse n’existe plus. La Société Socialiste est celle où la classe travailleuse (ouvriers et paysans) a cessé d’être exploitée par les possesseurs des grands moyens de production, pour devenir la propriétaire collective de ces moyens de production, affranchie de toute exploitation.
Ainsi, pour lui, « être socialiste c’est se rendre à cette vérité d’évidence : il n’est qu’un moyen de résoudre la contradiction qui mine la société, c’est la substitution à l’ancien régime (capitaliste) d’un régime où l’état social s’harmonisera avec les forces de production (sociales) […]. C’est lutter pour une société qui mette fin à l’exploitation de l’homme par l’homme. »
Le nazisme n’est rien de tout cela : « Est-ce cette société [le socialisme] que se proposent de construire les démagogues ivres du Rassemblement antinational et impopulaire ? Ce qui est certain, c’est que leurs maîtres de Berlin ne l’ont pas construite. Ils lui ont tourné le dos. » Le nazisme, malgré ses prétentions révolutionnaires [et sa démagogie qui peut parfois prendre pour cible le « capital international »], est le contraire du socialisme. […] Le nazisme est né de l’effort du capitalisme décadent pour imposer son pouvoir par la terreur […] Le nazisme est la tentative tout à la fois sournoise et violente des couches réactionnaires de la bourgeoisie pour détourner les exploités de la voie de leur affranchissement. »
Le nazisme est pour lui l’expression de l’impérialisme allemand, de la volonté hégémonique de l’Allemagne, de son programme d’expansion impérialiste. L’Allemagne prétend créer « l’ordre nouveau », contre l’ordre ancien [la vieille Europe]. La victoire de cet « ordre nouveau » a pour but d’assurer « la paix définitive dans la construction de l’Europe ». On sait par quels moyens ! La duperie des peuples et la guerre à outrance s’ils ne se soumettent pas.
Les apports de Gabriel Péri à l’analyse d’une situation historique
Antifasciste clairvoyant, défenseur de la démocratie, patriote, communiste, partisan de la paix et de l’entente entre les peuples, Gabriel Péri n’imagine pas que les crises du capitalisme, avec la réaction politique et les guerres impérialistes qu’elles suscitent, puissent se résoudre sans que l’on change le régime de production, sans que l’on instaure le socialisme. « Le socialisme nous révèle la contradiction qui creuse le tombeau du capitalisme. Le socialisme révèle aux exploités le secret de leur exploitation. » Gabriel Péri a donné sa vie pour cette cause, et avec d’autres qui poursuivaient les mêmes objectifs, il fut fusillé par les Allemands en décembre 1941, avant de pouvoir connaître l’issue de la lutte de la Seconde Guerre mondiale : la victoire des forces antifascistes et le renforcement du camp socialiste.
Pendant cette période de crise aiguë pour le peuple, il s’agissait pour lui, en analysant de façon pénétrante la situation concrète, de contribuer à tracer une juste ligne de conduite, à percer au jour les leurres et les mensonges « que la grande presse internationale relayait ». On connaît aujourd’hui la fin de ces épisodes de l’histoire, mais le déroulement de l’Histoire n’est pas fini. Les écrits de Gabriel Péri demeurent d’actualité. De nouvelles crises générales du capitalisme sont en cours ou à venir, qui ne peuvent que susciter la mise à l’honneur de “nouveaux charlatans” et de “nouveaux” rassemblements, qui n’ont fait que changer de nom.
Les écrits de Gabriel Péri ont contribué à éclairer la situation d’alors, il peut aider à éclairer la situation d’aujourd’hui. Pour ne pas se trouver dupés par quelques mystificateurs, et travailler à reconstituer les conditions de « lendemains qui chantent ». Ainsi Gabriel Péri ne sera plus pour nous le simple nom de la rue d’en face.
NOTES
(1) L’URSS, qui avait conclu une alliance d’ordre stratégique avec la France, critiquait son fléchissement face à l’Allemagne, sans prétendre pour autant brider ses initiatives en tant que nation souveraine.
(2) Le Pacte germano-soviétique est à resituer dans le cadre des stratégies mondiales des différents camps, dans la situation de 1939.(3) Le 26 septembre 1939, le gouvernement décide par décret la dissolution du Parti Communiste Français. En octobre des députés communistes sont arrêtés. Le 20 janvier 1940 leur déchéance est décrétée.
(4) Le Rassemblement National Populaire a été fondé par Marcel Déat (ancien député SFIO), en dissidence avec son Parti. Le nom « Rassemblement national populaire » avait été choisi en référence au « Rassemblement populaire », nom initial du Front populaire. Le RNP se voulait « Section française de l’Internationale européenne » ou SFIE, par analogie avec la SFIO. Les uniformes du RNP étaient calqués sur ceux des Jeunes gardes socialistes (chemise bleue, cravate rouge). Sur le plan idéologique, le RNP était favorable à un régime « fasciste socialiste » et totalitaire.
(5) Titre de la biographie qui lui est consacrée : Les lendemains qui chantent, éditions Sociales 1947.