Causes et antécédents de la crise générale du capitalisme (2008)

(selon Robert Brenner)

Robert Brenner, théoricien marxiste, Professeur à l’Université de Californie de Los Angeles, membre de la rédaction de la revue Against the current, a donné au journal sud-coréen Hankyoreh, en 2009, un entretien consacré à la crise économique mondiale.

On ne reprendra pas ici la totalité du contenu de cet entretien mais seulement quelques données essentielles portant sur la nature de la crise, réflexions qui montrent comment doit être pensée ladite crise.

Brenner observe que la crise actuelle n’a pas commencé en 2008 avec la crise dite “financière”, mais qu’elle constitue le développement d’une crise classique de surproduction capitaliste, amorcée depuis la fin des années soixante. Sous la crise financière passagère, en ses fondements pour ainsi dire, il s’agit d’une crise de surproduction et de rentabilité du capital. Dès lors, il est inévitable que les effets de cette crise se fassent sentir encore pendant de nombreuses années, sous diverses formes dont on ne peut préciser les contours et la durée. Les multiples tentatives de résolution de la crise n’ont fait et ne feront que renforcer l’incapacité structurelle du régime capitaliste à surmonter les manifestations de la crise.

La crise de 2008 n’est pas « financière », c’est la manifestation de la crise générale de surproduction capitaliste

Citant les indices macro-économique (PNB, PIB, investissements, salaires réels, etc.), Brenner expose la réalité des cycles économiques qui se succèdent depuis quatre décennies, signalant que le cycle 2001 à 2007, a été le plus mauvais. Ce cycle toutefois ne faisait que conclure une tendance générale, profonde et durable à la surproduction inhérente au mode de production capitaliste.

L’entrée dans le marché mondial de toutes les puissances industrielles, dès la fin de la Deuxième Guerre mondiale (Allemagne, Japon, puis Asie du Sud-Est et Chine), ne pouvait que conduire à une aggravation de la lutte pour les débouchés. Il en est résulté une offre telle qu’elle dépasse la demande, dans tous les secteurs et la production de marchandises à moindre coût, imposant une baisse des prix et des profits1.

Afin de résoudre le problème de baisse des profits, les capitalistes ont mené successivement, diverses politiques pour tenter de sauver leur mise. Ce fut d’abord l’investissement dans l’innovation, dans les nouvelles technologies, mais cela ne pouvait conduire qu’à une aggravation problème des surcapacités de production, avec une accentuation à terme de la baisse du taux de profit, et, avec l’augmentation de la productivité, la mise sur la touche de nombreux travailleurs, une autre tendance s’est affirmée, le ralentissement de la croissance de l’activité économique, donc de l’emploi, ou encore la pression exercée sur les salaires et les dépenses sociales, afin de réduire les coûts directs et indirects de production. cela ne pouvait conduire qu’à un affaiblissement, absolu ou relatif, de la demande, la masse du peuple appauvrie ne pouvant plus acheter les marchandises en surnombre, conduisant à un affaiblissement durable de l’économie, et pour les capitaux vacants à la recherche de profits illusoires, dans la sphère financière.

S’en viennent les bulles… et puis s’en vont !

Robert Brenner signale comment, à partir des années quatre-vingt-dix, les différents dirigeants capitalistes ont continué à tenter de résoudre la crise de surproduction, notamment au cours de la récession 1991-1995, en favorisant l’emprunt, qu’il soit public ou privé, avec des taux d’intérêt bas (exceptionnellement voire anormalement bas) : c’est ce qu’on a appelé la bulle financière (deuxième moitié des années quatre-vingt-dix) qui n’est autre qu’une masse d’argent virtuelle sans rapport avec l’économie réelle, avec la création réelle de la richesse réelle. Cela a contribué effectivement à « réactiver », l’économie financière et à réaliser des gains sans base dans la sphère productive (hausse des prix des actions, enrichissement des plus riches). Ce type d’activation de l’économie par l’emprunt, l’endettement, les déficits, n’étant pas fondée sur l’économie réelle, ne pouvait se révéler durable. De fait, les salaires et revenus réels restaient plats : la croissance était tirée par la consommation et l’investissement immobilier, mais ceci n’était possible que par le crédit facile (bulle immobilière des années 2000). Pour exemple : au cours des années 2001-2005, un tiers de la croissance et la moitié de la création d’emplois, aux états-Unis, étaient fondés sur l’immobilier et l’ensemble de l’activité économique qui lui est liée.

Comme chacun peut le comprendre, les bulles n’ont qu’une destinée à terme, c’est d’éclater. L’effondrement financier ne pouvait alors qu’aggraver les difficultés de l’économie réelle : l’effondrement financier intensifie la récession dans laquelle se trouve l’économie réelle, et, après l’éclatement des “bulles“, plus spécialement depuis 2008, l’accès au crédit ne pouvait que devenir très difficile, que ce soit pour les ménages ou les investissements productifs. Et, de toute façon, les problèmes de la surproduction, de la concurrence mondiale et de la demande demeuraient entiers, et même aggravés.

Une fois les bulles explosées, les capitalistes, visant au rétablissement de leur taux de profit, s’en sont tenus à ce qu’ils avaient déjà engagé bien avant de faire gonfler les bulles : l’offensive contre les salaires des travailleurs et les conditions de travail, offensive qui avait commencé dès la chute des profits, au début des années 70. Ce qui a conduit à aggraver encore le problème de la demande solvable (1).

 L’idée d’un capital susceptible d’être “stimulé” et dirigé par la finance est critiquée par Robert Brenner, qui observe qu’elle est une contradiction terme à terme. La stimulation financière pour la réalisation du profit dépend de la réalisation du profit dans l’économie réelle. Le principe de « financiarisation », de l’économie, sans fondement dans la production, ne peut faire illusion que durant le temps où les gouvernements peuvent la soutenir, creusant à cet effet les déficits publics. Ce creusement abyssal des déficits et de l’endettement ne pouvant à son tour qu’exacerber de manière massive les problèmes de surcapacités de production à l’échelle mondiale. Problème de la demande solvable, problème de la surcapacité de production, la crise est là, profonde, inéluctable, et, au fond, exigée par la “logique” même du régime capitaliste.

Crise générale, crise mondiale

Au fil de son entretien, Robert Brenner utilise beaucoup d’indications chiffrées concernant l’économie américaine, mais élargit ses analyses en démontrant combien la crise du système capitaliste, crise de surproduction donc, est une crise générale, mondiale.

Cette généralisation à l’ensemble des pays du monde a notamment constitué, comme le souligne Brenner, une autre tentative de résolution des crises précédentes : l’accroissement de la force de travail (l’ensemble des travailleurs exploités, à l’échelle mondiale) et de l’espace géographique ont effectivement été des bases de la croissance capitaliste et de la réalisation des profits, notamment dans l’immédiat après Deuxième Guerre mondiale. La combinaison entre techniques avancées de production et main d’œuvre à bas coût avaient, durant un temps, jusqu’à la fin des années soixante, contribué à maintenir le taux de profit. Mais l’accroissement massif de la production de marchandises à prix plus bas mais identiques à celles précédemment produites ailleurs, n’a fait qu’aggraver les problèmes de surproduction et d’encombrement des marchés.

A cela s’ajoutent les interdépendances entre puissances capitalistes “traditionnelles” (états-Unis, Allemagne, Japon, France, Angleterre) et “nouvelles” (Russie, Chine, Inde, Brésil, Asie du Sud-Est), qu’il s’agisse, pour exemple, de l’ouverture des marchés américains aux exportations chinoises, ou de la couverture, par la Chine, des déficits record de la balance des paiements des états-Unis, et de leur déficit budgétaire titanesque. Il est clair que la Chine versait toujours autant d’argent pour soutenir l’économie américaine de manière à pouvoir continuer à se développer et à écouler sa production. Mais à terme, cela contribue à accroître le problème de la surproduction.

Robert Brenner en 2009 établissait que cette forme d’interdépendance, loin de résoudre la crise, ne pourra que l’approfondir davantage. Ce qu’il nomme la bulle chinoise, qui tend à masquer la réalité de la crise de surproduction, finira par éclater comme ont éclaté les autres bulles, et apparaîtra alors l’ampleur de la crise chinoise, particulièrement sous-estimée par les économistes « experts », aggravant encore la crise mondiale.

Robert Brenner analyse assez longuement les questions relatives aux rapports entre les puissances capitalistes, notamment les rapports à l’égard de la puissance aujourd’hui hégémonique (les états-Unis). Il analyse l’évolution de la puissance chinoise, montrant en quoi elle est devenue une puissance totalement capitaliste. Ces deux thèmes ne sont pas l’objet de cette Page d’histoire, mais le lecteur peut se reporter au texte de l’entretien, dont on a seulement voulu ici signaler l’intérêt, dans la meure où les outils et surtout la problématique d’analyse de Brenner paraissent pertinents. On doit ainsi noter que dans un ouvrage antérieur à l’entretien, il avait “prévu” l’épisode de la crise de 2008, plus précisément la forme qu’elle devait prendre à ce moment là, de même que celle de 2001, année où le taux de profit avait été le plus bas depuis 1945.

Pour autant, Brenner n’a évidemment rien d’un prophète et son travail ne vise qu’à analyser la réalité de la situation de crise générale, sans pouvoir annoncer à coup sûr les formes empiriques particulières des péripéties à venir.

Il faut noter, pour conclure, que Robert Brenner n’est pas étroitement cantonné dans une pensée “économique”, fut-elle très féconde. Au publiciste qui l’interroge sur les axes d’action des classes laborieuses dans cette période de crise, et pour contrer cette dernière, Brenner fait observer que la tâche essentielle, première et décisive, dans la situation de désorganisation où sont la plupart des classes laborieuses, est précisément leur réorganisation politique.

(1) La surproduction de marchandises ne permet plus de réaliser, sur le marché, la valeur qui y est contenue, et partant la plus-value d’où le capital retire ses profits. La baisse des prix pour tenter de surmonter le problème ne peut nullement le résoudre.

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