(Contribution ULCP)
En février 2005, à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, un rapport réclamant une condamnation immédiate du communisme, a été déposé. Le 25 janvier 2006, une résolution allant dans le sens de certaines recommandations de ce rapport préparatoire a été votée (1). Dans certains pays de l’ancienne sphère communiste, les emblèmes des travailleurs : la faucille et le marteau, ont même été interdits.
Ce n’est pas la première fois dans l’histoire que l’idée même de communisme et ses symboles sont incriminés. On peut s’interroger sur la persistance d’un tel acharnement et sur son pourquoi. Et se demander quels peuvent en être les motifs dans la conjoncture actuelle, alors que le communisme en tant que puissance dans le monde, et les Partis qui se réclament encore de lui, sont loin de constituer une menace imminente pour le capitalisme (2).
Depuis quelques années, notamment à l’extrême gauche, se développent aussi des courants qui feignent de se faire les défenseurs du « mot » communisme, alors qu’en même temps, ils condamnent la réalité historique à laquelle ce mot était attaché.
Quels sont donc les aspirations populaires et réalités historiques qu’il s’agit ainsi de désapprendre, d’annihiler ou de contrefaire ? Pour le comprendre, il est utile d’avoir une idée claire du sens de ce mot et des réalités historiques auquel il renvoie.
Aujourd’hui, pour beaucoup, le mot communisme est mis en relation avec le Parti communiste, tel qu’il est aujourd’hui, parfois tel qu’il fut dans son histoire. Certains l’associent, ou au contraire refusent de l’associer, à la révolution et au socialisme soviétiques, sans toujours bien savoir en quoi ils ont consisté. Il arrive aussi qu’on ignore que le communisme, au moins comme aspiration humaine, ressort d’une longue histoire, et que les premières ébauches de sa forme moderne furent élaborées par les premiers théoriciens du mouvement populaire, avant Marx lui-même, dès après la Révolution française.
Des questions se posent.
Quand on parle de communisme, de quoi parle-t-on ? D’une utopie séculaire, de l’attente d’un nouveau “messie”, ou du sens d’une évolution nécessaire et possible de la société ? Est-ce qu’il s’agit seulement d’un choix d’opinion, d’une idéologie, ou de la visée d’un régime social reposant sur d’autres fondements économiques que le régime capitaliste (ou féodal) ? Dans l’histoire, un tel régime social a-t-il pu, ou pourra-t-il voir le jour, quelles contradictions a-t-il dû résoudre ou devra-t-il résoudre ? Ce régime peut-il s’imposer d’un seul coup, ou par étapes, toujours en allant de l’avant ou bien en subissant des reculs, des défaites. Sa réalisation peut-elle s’accomplir en échappant aux lois historiques de toute lutte de classes, ou doit-on la considérer comme l’aboutissement, dans la longue durée, d’une telle lutte.
Autres questions essentielles. Qu’a pu apporter ou que peut apporter le communisme aux classes populaires, et plus généralement à toute la société ? Et, interrogation que beaucoup formulent, sera-t-il question avec le communisme de “tout” mettre en commun ou de réaliser les conditions du bien commun de la grande majorité (impossibles à mettre en œuvre dans les sociétés marquées par les oppositions entre classes sociales) ? L’individu sera-t-il nié comme dans les “communautarismes” qui se développent aujourd’hui, ou au contraire le communisme moderne donne-t-il les conditions d’une véritable individuation des hommes et de leur conscience ?
Sur ces questions, il n’est pas facile d’y voir clair.
– D’une part, parce qu’il est aujourd’hui difficile de ne pas se laisser influencer par les “images” négatives diffusées par la presse, la télévision, les courants d’idées dominants, sur les “horreurs” du communisme. Ce ne sont là cependant que de vieilles rengaines qui sont entonnées, depuis le début du xixe siècle, par tous les tenants du maintien des régimes d’exploitation, pour tenter de se prémunir contre les visées d’émancipation des classes populaires.
– D’autre part, parce que les organisations qui se réclament encore du communisme sont en plein désarroi et reprennent souvent à leur compte ces mêmes refrains. Et que, ayant abandonné leurs visées historiques, elles ne proposent plus une conception intelligible de ce qu’est le communisme, et quelles sont ses conditions effectives de réalisation.
Sans pouvoir répondre dans cette contribution, à toutes les questions posées, on contribuera à les éclairer. Pour ce faire, on s’interrogera d’abord sur les significations premières des mots commun, communauté, puis communisme, dans la langue française. On pourra percevoir que le communisme moderne (construit sur la notion de commun) n’a rien à voir avec les communautarismes dont on nous parle aujourd’hui, qu’il ne nie pas la notion d’individu, mais au contraire la présuppose. On s’intéressera ensuite à l’évolution du sens du mot dans sa relation avec des réalités historiques : du communisme comme simple aspiration humaine, aux théories qui posent ses conditions concrètes de réalisation. Puis des premières tentatives pour établir le communisme (avec pour première étape le socialisme), aux perspectives pour l’avenir, sans oublier de mentionner les difficultés, les obstacles qui se sont opposés et s’opposent à sa réalisation.
Commun, communauté, dans la langue française
De par son étymologie, le mot communisme s’est formé sur la base d’autres mots : communauté et commun, eux-mêmes issus du cum latin, qui signifie avec (ou de façon conjointe). Dans la langue française, ce qui est commun, la communauté, ne préexiste pas aux membres qui la composent, elle se fonde sur leur mise en relation. Le sens du mot est donc distinct de celui qu’on associe aujourd’hui aux conceptions “communautaristes”.
Si l’on consulte les anciens dictionnaires, deux idées essentielles sont mises en relation avec le mot commun :
– ce qui appartient à tous en général (ou à un groupement donné),
– ce qui fonde un rapport d’association entre des hommes.
La première idée s’exprime dans des formules telles que « l’air qu’on respire est commun à tous », « le soleil est commun à tout le monde ». On peut parler aussi de qualités communes à tous les hommes (« la raison commune », « le sens commun »), ou de sort commun : quelles que soient les différences « le genre humain est commun aux deux sexes », « le sort commun des riches comme des pauvres est d’être mortels ». Il y a aussi l’idée de « droit commun », droit valable pour tous, égalitaire, qui s’oppose aux droits particuliers, aux privilèges. Ou encore la notion de « bien commun », plus ou moins synonyme de bien public, et qui s’oppose à ce qui est particulier, privé.
Il peut y avoir un sens plus étroit, l’idée de quelque chose de commun entre particuliers ou pour un groupe donné, en relation avec la notion de propriété (ce qui appartient conjointement à plusieurs), et à un droit : « un passage commun » entre deux maisons, des « communaux » (pâturages d’un village où tous les habitants avaient le droit d’envoyer leurs troupeaux). Dans le mariage, il y a ce qui est commun entre le mari et la femme, « propriété commune » des biens des mariés et de ce qu’ils acquièrent ensemble, qui n’exclut pas des biens propres à chacun.
Dans tous les cas, le commun ne signifie pas que “tout est à la communauté”. Le commun dans la langue française, (comme dans le registre juridique), suppose un corollaire, le « propre », le particulier. Le commun n’est pas synonyme de ce qui est signifié par la notion latine de coenobium (communauté de vie).
Des significations secondaires peuvent en outre être associées au mot commun. Le commun, peut servir à désigner « le vulgaire » (ou l’esprit commun, ordinaire, non noble), et, de façon méprisante, la multitude, le peuple, ce qui est subalterne.
Le second sens du mot commun, tel qu’il se développe avec la notion de communauté, se construit sur la même base. Il ne signifie pas non plus la suppression de l’individualité. La communauté, telle que la signification en est donnée dans les anciens dictionnaires, pose un rapport d’association, sur la base de règles et de buts communs [et non d’abord en fonction d’une même “origine”]. C’est souvent un synonyme de société, petite ou grande. Le mot communauté ne renvoie pas ainsi, comme dans la langue allemande à l’idée d’un “être ensemble” au-dessus des individus (gemeinschaft) s’opposant à la notion de société (gesellschaft).
On trouve en effet les expressions suivantes, rapportées à communauté : « société de plusieurs personnes qui vivent sous certaines règles », « personnes qui ont fait société pour leurs intérêts communs ». On peut trouver aussi des mises en relation avec la notion de république (communis respublica). La communauté peut être une association de citoyens, des habitants d’un bourg, une association d’ecclésiastiques, d’artisans d’un même métier, un collège, une université, un corps juridique ou politique (liés par une finalité commune, des règles communes).
Le mot commune en français (au sens municipalité), a pour sens premier co-munia (charges avec d’autres, en commun). Les membres de la commune sont ceux qui ont part (participent) aux charges, souvent avec une idée d’égalité, de parts égales, s’opposant à la notion d’immunité (absence de participation aux charges ou aux règles d’une association de citoyens). (On trouve dans un dictionnaire de français ancien un premier sens du mot communiste : chargé d’un office au service de la commune).
Le mot communauté ne signifie pas ici non plus la négation de l’individu, de ce que l’on a en propre. Toutefois l’idée de commun, de but commun, de droit commun, de règles communes, peut s’opposer à celle de lois privées (privat leges, privilèges), mais aussi à celle d’un individualisme conçu comme mise en avant d’intérêts particuliers, privés, contrevenant au droit commun, au bien commun. Ou l’individualisme comme retour à un “état de sauvagerie”, à la lutte de tous contre tous, à la “liberté” de l’état de jungle, c’est-à-dire à un « droit du plus fort » (qui, comme le rappelle Rousseau ne ressortit pas vraiment au droit). Par la suite, l’idée de propriété commune ou sociale pourra être mise en opposition avec la propriété privée de la terre et des grands moyens de production.
Certes, il existe aussi quelques acceptions du mot qui exposent l’absorption de l’individu dans une communauté, au sens d’un “être ensemble” supérieur et antérieur aux individus, impliquant la suppression de la famille et de tout mobile personnel, avec possession de tous les biens et même des êtres, soumission absolue à la communauté, comme dans l’état primitif de l’humanité (et par conséquent aussi l’asservissement à des chefs ou prêtres communautaires).
Toutefois, avant la Révolution française, les notions de commun et de communauté renvoient le plus souvent à l’aspiration au bien commun (qui peut impliquer la subordination des intérêts particuliers à ce bien commun). Ce que propose Rousseau dans le Contrat social. Un autre courant, plus ou moins en rupture avec le premier, s’est aussi développé à cette époque, proche d’un communisme primitif où l’individu n’aurait pas d’existence ni de conscience propres.
L’anarchie capitaliste et la formation du communisme moderne
Après Révolution française, au début du xixe siècle, le sens généralement donné au mot communisme est « doctrine égalitaire ». Une partie des idées rousseauistes sont alors mobilisées. Très vite, la réalisation de l’égalité est posée en relation avec la transformation des fondements économiques de la société.
Pour Babeuf, les hommes ont des facultés et des besoins communs : ils ont besoin de nourriture, d’une même éducation. Les conditions de l’égalité réelle des individus, mais aussi des villes, des régions, supposent cependant une transformation de la base du régime social : suppression du travail de l’immense majorité au profit d’une extrême minorité, mise en commun des biens contre la propriété privée des moyens de produire (à l’époque, principalement la terre) (3).
D’autres courants se développent au cours des premières décennies du xixe siècle. Certains ne se situent encore que sur le terrain de l’utopie. Mais en critiquant le régime social bourgeois, ils mettent au jour la base anarchique du capitalisme : crises périodiques, avec leur cortège : chômage, destruction des forces productives. Certaines de ces utopies, qui se présentent sous la figure d’un “anti-capitalisme” avant la lettre, sont régressives, elles visent à faire retour à l’Ancien Régime, et tentent d’enrôler le peuple dans ce combat d’arrière-garde.
Dès les années 1840, de nombreux théoriciens socialistes et communistes, dépassent ce point de vue étroit. Ils posent la nécessité de transformer de façon progressiste la base économique du capitalisme, qui outre l’exploitation travail, se présente comme absurde, facteur d’anarchie sociale. Ils perçoivent que ce régime, fondé sur la concurrence entre capitaux pour la conquête des marchés, conduit aux crises de surproduction, et au chômage, pour les travailleurs. Ils posent que cette transformation doit s’opérer en prenant pour principe, non plus les intérêts privés, mais les besoins sociaux.
Les tenants du socialisme et du communisme poursuivent alors sensiblement les mêmes buts, instaurer un régime réellement “social”, avec socialisation de la production. Ils peuvent ne pas être d’accord sur les moyens à employer pour y parvenir. Les socialistes nourrissent l’espoir d’un changement pacifique progressif possible. Les communistes n’imaginent pas que les capitalistes admettent de bon cœur l’idée d’abandonner leurs intérêts propres, ils pensent, comme par exemple Théodore Dezamy, que la société ne peut se transformer d’elle-même, et qu’il y aura besoin d’une dictature provisoire pour imposer le changement (idée déjà présente au moment de la Révolution française).
Notons qu’en même temps que le communisme moderne parvient à poser les conditions de transformation du régime capitaliste, le mot d’anti-communisme apparaît (en 1842). Après la révolution de 1848 (et plus tard après la Commune de 1871), l’anti-communisme se déchaîne de nouveau, et ceci bien que les classes prolétariennes ayant alors perdu des batailles, ne semblent plus menacer le capitalisme. Du côté de la bourgeoisie, c’est Thiers par exemple qui affirme que le communisme est un régime d’inégalité (et en même temps d’uniformité), d’inquisition, qu’il détruit la liberté humaine, abolit la pensée, la civilisation, abaisse l’homme au niveau de l’animal. Sur l’autre versant, et bien qu’il se pose en adversaire du régime, Proudhon condamne lui aussi le communisme, en tant qu’utopie, utopie à laquelle il reproche cependant son « déterminisme économique ». Le communisme, selon lui serait un esclavage, un régime d’inégalité et d’oppression. Ces vieux refrains se sont en fait peu modifiés depuis un siècle et demi.
Le communisme moderne n’a rien à voir avec les « communautarismes »
C’est en prenant appui sur ces premières formulations du mouvement socialiste et communiste français, que Marx propose une théorie achevée du communisme moderne, tel qu’il peut s’instaurer sur la base de ce que le mode de production capitaliste recèle. Il met en effet au jour les conditions de possibilité d’un régime de production réellement “social”, en analysant dans son ouvrage central, le Capital, les déterminations matricielles des contradictions inhérentes au régime capitaliste, contradictions qui poussent à leur résolution.
Mais déjà, dans ses textes de jeunesse, notamment dans l’Idéologie allemande, il indiquait dans ses grandes lignes en quoi consistait le communisme en tant que régime social.
« Le communisme se distingue de tous les mouvements qui l’ont précédé jusqu’ici en ce qu’il bouleverse la base de tous les rapports de production et d’échange antérieurs et que, pour la première fois, il traite consciemment toutes les conditions naturelles préalables comme des créations des hommes qui nous ont précédé jusqu’ici, qu’il dépouille celles-ci de leur caractère naturel et les soumet à la puissance des individus unis. De ce fait, son organisation est essentiellement économique, elle est la création matérielle des conditions de cette union ; elle fait des conditions existantes les conditions de l’union (4). »
Bien qu’il affirme que le communisme repose d’abord sur une transformation de la base économique, il ne nie pas, mais au contraire exalte la puissance des hommes, et établit que l’union (réelle) des individus suppose l’existence d’une telle transformation.
« L’état de choses que crée le communisme est précisément la base réelle qui rend impossible tout ce qui existe indépendamment des individus. »
Le communisme moderne ne peut être confondu avec les doctrines communautaires, anciennes ou récentes, qui exaltent la vie purement collective des hommes, et condamnent toute forme d’individuation, il pose seulement les conditions d’une véritable vie individuelle et sociale des hommes, qui ne peut exister que si l’on fait prévaloir les buts communs du plus grand nombre contre les buts privés d’une fraction de la société s’appropriant la richesse sociale. Il ne s’agit pas d’abolir toute forme de propriété, mais d’établir une forme de propriété sociale, principalement des grands moyens sociaux de production, afin de supprimer les causes de l’exploitation du travail d’autrui. Par là les hommes peuvent tous accéder à la propriété de soi-même et à la conscience individuelle.
De la sorte, le communisme ne signifie pas la fusion, la communion des éléments au sein d’un tout organique, il établit un mode de relation entre les hommes où ce qui est commun est distingué des réalités individuelles, et ce qui est individuel concoure au bien commun. Ainsi il ne s’agit pas de retourner en arrière, en deçà des apports de la révolution bourgeoise qui a posé les bases d’une individuation des êtres humains (sans avoir réussi à en donner toutes les conditions). Il s’agit au contraire de mener jusqu’à son terme cette individuation que la société bourgeoise ne peut produire.
Conditions de réalisation du socialisme et du communisme en tant que régimes sociaux
On a signalé que communisme moderne est la forme d’une exigence générale, dans des conditions historiques qui en ont rendu la réalisation possible.
Pour qu’une société communiste existe autrement que comme un souhait ou une utopie, il faut en effet que les conditions de sa réalisation aient été formées. À l’inverse des conceptions, anciennes, le communisme moderne, tel que Marx notamment en a établi le caractère nécessaire, n’est pas une invention de l’esprit. Pas plus que les premiers théoriciens socialistes français, il n’a échafaudé tout seul dans sa tête l’idée communiste. Son œuvre a consisté à montrer, sur la base d’une analyse des antagonismes de la société marchande parvenue au stade capitaliste, en quoi le socialisme et le communisme sont une forme nécessaire de développement social, la voie de résolution de ces antagonismes.
Ainsi, la société communiste moderne n’est réalisable qu’à une époque particulière de l’histoire. Le régime capitaliste, en tant que mode de production s’étendant progressivement dans le monde, produit une partie des conditions de sa réalisation. Il “libère” les facteurs d’une production sociale, non communautaire, impossible à développer dans le cadre de régimes féodaux ou tribaux. Toutefois, le capitalisme, en même temps qu’il produit certaines conditions de réalisation d’une société communiste, en entrave la réalisation, en ne menant pas jusqu’à son terme le processus de socialisation qu’il a enclenché. Il enserre en effet les facteurs de socialisation de la production dans le carcan de l’appropriation en vue de buts privés. Cette contradiction est la cause des secousses qui traversent périodiquement ce régime et engendrent développement inégal, crises et guerres. Une révolution politique doit être opérée pour qu’une socialisation effective puisse être opérée.
On doit cependant comprendre que même si les classes populaires s’emparent des leviers du pouvoir, la première phase de la société communiste, ou socialisme, ne peut éliminer d’emblée les contradictions que le capitalisme a développé, celles qui opposent les caractères privés et sociaux de la production et des échanges. En revanche, en détenant ces leviers, les classes populaires peuvent créer les conditions nécessaires pour que progressivement le caractère social puisse, à terme, prévaloir. Ce n’est qu’au cours de la seconde phase, ou communisme proprement dit, que les contradictions du capitalisme peuvent être complètement résolues.
La société communiste en tant que réalité et perspective
On a beaucoup parlé de “l’échec” de “l’expérience” communiste, telle qu’elle a existé en Union Soviétique et dans l’ensemble de ce qu’on appelait « le camp socialiste ». Plutôt que d’un “échec”, il faudrait plutôt parler de la perte d’une bataille, dans le cadre d’une lutte s’inscrivant dans la durée historique. Et pour comprendre un tel revers, il conviendrait de prendre en compte les données théoriques du problème et les vicissitudes historiques inhérentes à toute lutte de classes.
Pour que le régime communiste moderne puisse être “définitivement” institué, il faut que les contradictions qui minent les régimes sociaux dont il est issu aient été pleinement surmontées (5). Et ceci à une échelle suffisamment large, pour que la réaction des classes bourgeoises (mais aussi féodales), ne dispose plus d’aucune ressource pour imposer la restauration des régimes anciens.
En dépit des pas en avant accomplis dans la durée (70 ans), il y a eu recul, dissolution, puis défaite des régimes socialistes et communistes. Toutefois, la restauration du capitalisme en un point ou plusieurs points du monde, à un moment de l’histoire (et même le retour en force de structures sociales archaïques, de type féodal, ou tribal), n’ont pu annuler miraculeusement les contradictions destructrices de ces régimes et la nécessité de les dépasser. La crise récente, sur fond de régression et d’anarchie depuis une trentaine d’années, en atteste une fois de plus.
Comme pour toute transformation historique d’envergure, le passage au communisme ne peut s’effectuer en ligne droite. Il s’agit d’un processus de longue durée, qui comporte des périodes d’avancées et de reculs, des phases de révolution et de contre-révolution, à l’image de la lutte séculaire qui a opposé le régime marchand capitaliste à la féodalité. Les difficultés, les défaites, sont à voir par rapport à ce processus d’ensemble, dans la durée historique. Si l’on conserve ses facultés critiques, on ne peut confondre le mouvement historique général et les aléas de sa réalisation.
La situation préoccupante dans laquelle se trouvent les classes exploitées et opprimées du monde entier, ne signifie pas ainsi que toute volonté de transformation sociale soit vaine, vouée à l’échec, ni qu’il faille réviser une théorie qui aurait “vieilli”, et ne correspondrait plus aux données contemporaines. La crise actuelle de l’ensemble du régime capitaliste n’est-elle pas là pour attester que la théorie de Marx est loin d’avoir “vieilli” ? Les contradictions fondamentales du régime de production marchand capitaliste qu’il a mises au jour, sont toujours à l’œuvre et poussent à l’élévation à un état pleinement “social”. Et un tel régime ne peut être instauré de trente-six façons, mais seulement sur la base d’une socialisation effective (6).
NOTES
1. Toutes les recommandations cependant n’ont pas été acceptées, l’incrimination a été limitée aux « régimes communistes totalitaires ». La résolution invite cependant tous « les partis communistes et post-communistes […] qui ne l’ont pas encore fait, à reconsidérer l’histoire du communisme et leur propre passé ».
2. Le rapport présenté à l’Assemblée du Conseil de l’Europe signale un des enjeux de cette condamnation : « Si nous nous en abstenions, une nostalgie illusoire risquerait de s’installer dans l’esprit des jeunes générations, qui verraient dans ce régime un substitut éventuel à la démocratie libérale » [le mot « démocratie libérale » signifiant ici régime capitaliste].
3. Cabet, théoricien de « l’école communautaire » ou « sociétaire », projette les bases d’un nouveau régime social fondé sur l’association fraternelle, égalitaire, unitaire. Fraternelle, parce qu’il n’existe qu’un seul genre humain, et qu’en conséquence tous les hommes sont frères. L’égalité en découle, et il faut qu’il y ait égalité de droits et de devoirs, des jouissances et des charges, égalité en éducation, propriété, industrie. Ainsi pourra se réaliser l’unité puisque sera supprimée la division en classes, et qu’il n’y aura plus qu’un peuple de citoyens travailleurs.
4. Souligné par la rédaction
5. « Au cours du remplacement d’une forme d’échange antérieure, devenue une entrave, par une nouvelle forme », « les différents stades et intérêts ne sont jamais complètement dépassés, mais seulement subordonnés à l’intérêt qui triomphe et ils se traînent encore pendant des siècles à ses côtés. » Marx, l’Idéologie allemande.
6. C’est sur la base de cette analyse qu’il conviendrait sans doute d’apprécier le contenu effectif de ce que l’on appelle aujourd’hui, faussement, socialismes (notamment le « socialisme du xxie siècle » au Venezuela).