Entre les exposés “Mercantilistes” et “Physiocrates”, et ceux portant tant sur les économistes libéraux du XIXe siècle en France et la première critique de l’économie marchande capitaliste (Sismondi – 1819), il manque (au moins) un maillon théorique : Adam Smith, souvent désigné comme fondateur de la science économique. On ne développera pas d’analyse spécifique sur cet auteur, mais sur la base des représentations usuelles proposées dans divers Manuels de science économique, quelques rapides informations le concernant sont nécessaires.
Adam Smith (1723-1790) est un philosophe et économiste écossais. Ses principales œuvres :
Théorie des sentiments moraux (1759) ; Histoire de l’astronomie ; Leçons sur la jurisprudence ; Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776).
Par rapport aux auteurs précédents, Adam Smith, universitaire (professeur de logique et de philosophie morale) paraît moins lié (directement ou indirectement) aux intérêts d’une classe ou d’une autre. Il semble poursuivre des visées d’ordre théorique, la connaissance pour la connaissance. « Dans la succession des phénomènes, indique-t-il, l’esprit cherche des explications ». Si l’on constate « une succession qui rompt avec l’accoutumance [la routine de pensée], l’esprit est surpris et cette surprise l’excite et le pousse à la recherche de nouvelles explications (1) ».
Le travail de la philosophie consiste pour lui à établir des rapports permettant de saisir la cohérence de l’ensemble des phénomènes.
« La philosophie, en exposant les chaînes invisibles qui lient tous ces objets isolés, s’efforce de mettre de l’ordre dans ce chaos d’apparences discordantes. » (Histoire de l’astronomie)
Adam Smith bâtit son ouvrage la Richesse des nations, en tenant compte des auteurs qui l’ont précédé (il est entré directement en contact avec certains d’entre eux) : Hume, Locke, Quesnay, Turgot, Cantillon, William Petty, etc. Il critique les “mercantilistes”, sur une base pour partie erronée, faisant comme si, pour ceux-ci, la véritable richesse ne consistait que dans la possession de métaux précieux. Quant aux Physiocrates, dont il admire l’analyse d’ensemble, il ne comprend pas le culte qu’ils vouent à la production agricole et à la propriété foncière.
L’importance donnée au travail des hommes
Pour Adam Smith, la richesse d’une nation est constituée par l’ensemble des produits qui agrémentent la vie de la société dans son ensemble (agriculture, artisanat, manufactures…). L’origine essentielle de toute richesse réside dans le travail des hommes. Le montant du produit total est fonction de la quantité et de la qualité du travail mis en œuvre par le capital (manufacturier ou agraire).
Adam Smith expose le mécanisme de la croissance des richesses d’une nation, en fonction de différents facteurs : le travail, le capital, la terre. Le coût de production d’un bien est formé de salaires, profits et rentes. Comme le développera Sismondi, et plus tard Marx (mais l’idée est aussi présente chez Turgot, notamment) le produit du travail n’appartient pas en totalité au travailleur, qui est payé en fonction de ses besoins de subsistance. Adam Smith distingue aussi entre l’utilité d’un produit (valeur d’usage) et sa valeur dans l’échange (valeur d’échange) qui correspond à la quantité de travail nécessaire à sa production.
Les économistes libéraux qui se réclament d’Adam Smith, rejetteront très tôt cette conception dite de la “valeur travail”, pour lui substituer l’idée que la valeur d’un bien est fondée sur l’utilité que lui accorde les consommateurs.
Les facteurs de la richesse d’une nation
Selon Adam Smith, trois facteurs permettent l’enrichissement d’une nation : la division du travail, l’accumulation du capital, la taille du marché.
La division du travail est rendue possible par le développement des échanges, elle permet de perfectionner et puissancier les activités de production (toutefois Adam Smith n’ignore pas que cette division peut aussi conduire à l’abrutissement des travailleurs).
La division du travail peut rencontrer un obstacle, la taille du marché. Plus les hommes sont nombreux, plus ils peuvent se diviser les tâches. Mais, si le marché n’est pas assez grand, le surplus de production, permis par une division du travail accrue, ne trouvera pas d’acheteur, (ce qui pose le problème de la « réalisation » de la valeur produite).
Le marché et la « main invisible »
Les commentateurs ont interprété la métaphore de la « main invisible » énoncée par Adam Smith, de la façon suivante : les marchés produiraient un mécanisme d’autorégulation qui conduirait spontanément à l’harmonie sociale. La thèse d’Adam Smith est un peu différente. Les “lois” du marché, en relation avec le mouvement des intérêts individuels, conduiraient à un résultat inattendu : l’intérêt général. La confrontation des intérêts mène en effet à la concurrence, et celle-ci conduit les individus à produire ce dont la société a besoin. La forte demande provoque une envolée des prix et cela conduit les producteurs avides de profit à produire les biens recherchés. Mais ce mécanisme est en fait contraignant, car ne pas le respecter conduit à la ruine. Ainsi, « l’individu est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n’entre nullement dans ses intentions ».
Bien que mettant en avant le rôle du marché pour la satisfaction des besoins, Adam Smith n’est pas l’apôtre d’un capitalisme sauvage. Il dénonce les ententes et monopoles qui contournent la loi du marché, et envisage que l’autorité souveraine ait à faire respecter les règles du marché.
S’agissant du commerce international, Adam Smith est pour le libre échange, et une certaine division internationale du travail.
Il est « prudent, dit-il, de ne jamais essayer de faire chez soi la chose qui coûtera moins à acheter qu’à faire ».
Si une nation est meilleure dans la production d’un bien, tandis qu’une autre est meilleure dans la production d’un autre, chacune d’entre elles a intérêt à se spécialiser dans sa production, et à échanger avec l’autre les fruits de son travail. Gagnant gagnant !!
S’agissant de l’activité économique de l’État, Adam Smith n’est pas contre un certain interventionnisme lorsque le marché ne peut prendre en charge des activités non rentables (infrastructures).
NOTE
(1) C’est un peu ce que dit Aristote au début de la Métaphysique.