Capitalisme
Représentations contemporaines
Le terme de capitalisme, utilisé avec discrétion ou sujet plus ou moins tabou il y a encore une dizaine d’années, est revenu à l’avant de la scène. Le retour en vogue de l’usage de ce mot n’est sans doute pas sans rapport avec les manifestations de la crise générale de ce régime de production qui affecte le monde entier et qui révèle au grand jour ses contradictions intimes.
Toutefois, si l’on écoute les discours des différents courants politiques ou ce qu’en dit la presse, il n’est pas certain que chacun s’accorde sur ce qu’est le capitalisme, sa “nature” propre, le principe qui le guide, ses caractères essentiels.
Pour tenter d’éclairer la question, La Société Populaire d’Education a procédé à une enquête auprès d’un groupe de référence (1), afin d’essayer de déterminer comment des individus (au sein de divers groupes sociaux) se représentent le capitalisme, les contradictions qui l’affectent, les moyens de les surmonter ou les résoudre.
I — Difficultés à définir ce qu’est le capitalisme
Les individus interrogés, nullement spécialistes en matière économique, ont éprouvé une certaine difficulté lorsqu’il leur a été demandé de définir ou caractériser le capitalisme (2), y compris parmi ceux qui peuvent se réclamer d’un certain “anticapitalisme”. Il est loin d’être certain que des définitions plus cohérentes soient aujourd’hui données par de présumés spécialistes en la matière (3). Au cours de la progression du questionnement (4), il peut même arriver que des personnes “ordinaires” se révèlent plus à même de percevoir la “cause” des problèmes centraux qui affectent ce régime de production, plus spécialement ceux qui se révèlent au grand jour lors des crises.
Une seule personne n’a proposé aucune caractérisation. Pour un sixième du groupe de référence, les caractérisations se sont trouvées résumées à un mot ou une formulation succincte, sans que la distinction entre capitalisme et capitalistes soit toujours établie.
Sur l’ensemble des réponses, on remarque que le capitalisme se trouve le plus souvent défini au regard de la base économique, les traits relevant de l’ordre politique étant posés comme secondaires.
— Les caractères essentiels proposés pour tenter de caractériser le capitalisme sont l’argent, le profit : « l’argent roi », « règne de l’argent », « argent centre de tout », « le fric », « gagner toujours plus », « la course au profit », « religion du profit », « le profit moteur de l’économie », « recherche du profit maximal ». Le profit, notamment pour des personnes relevant du secteur public, est parfois limité au « profit financier » ou « spéculatif ».
La caractérisation par l’argent, le profit, peut sembler sommaire. On peut cependant la comprendre comme valant pour désigner ce qui se présente comme finalité première de ce mode de production. Pour autant, plusieurs parmi les personnes interrogées n’ignorent pas qu’une telle finalité doit avoir pour substrat la production de richesses matérielles : « la production de biens dans le but de réaliser des profits ». Lorsqu’un tel substrat fait défaut, c’est alors que les « problèmes se multiplient ».
— Pour un quart des personnes interrogées, la finalité du capitalisme, recherche d’argent, de profit, se fonde sur un principe d’exploitation plus ou moins clairement formulé : « le profit moteur de l’économie ne peut exister sans l’exploitation ». Les ouvriers, employés, techniciens du secteur privé, mais aussi certains artisans ou commerçants, insistent sur le fait qu’il s’agit de l’exploitation du travail d’autrui, au bénéfice des plus riches, du capital :
« L’exploitation des autres pour un profit », « tirer profit du travail des autres », « un monde où seul compte le profit de quelques-uns qui usent et abusent du travail [et de la servilité] des autres pour gagner toujours plus », « [un système] qui permet [à des personnes] de pouvoir s’enrichir en produisant des biens fabriqués par l’homme [ou la machine]. Ces personnes là tireront la plupart des bénéfices de cette production », « source de revenus qui n’appartiennent pas à ceux qui les mettent en œuvre par leur propre travail ».
Le thème de l’exploitation pour réaliser des profits n’est pas absente dans le sous-groupe des cadres du secteur privé et public (enseignants pour la plupart). Cette idée, qui parfois se présente de façon plus “savante”, peut toutefois se révéler moins explicite. On peut parler « d’accumulation de capital », de « fructification des gains », sans que cette “fructification” soit toujours rapportée à sa source : le travail humain producteur de marchandises et de valeurs d’échange.
« L’accumulation du capital au profit d’une minorité par le biais de l’exploitation de l’homme par l’homme et de la propriété privée des moyens de production et de distribution », « permet à ceux qui possèdent beaucoup de biens de faire fructifier leurs gains au détriment de ceux qui participent à la valorisation de ces biens, par l’exploitation des personnes et des richesses ».
L’exploitation du travail, son rôle dans l’accumulation de capital ou de richesse, peut se trouver signalée, sans que soit spécifiée la nature des travaux qui sont à la base de la production de valeur : « bénéfice de quelques-uns du travail du collectif [….] pas au service du collectif », « l’enrichissement d’une petite minorité d’individus sur le dos du plus grand nombre ».
À l’inverse, la « dissociation de la propriété du capital et du travail » (travail non spécifié) peut être évoquée, sans qu’elle soit rapportée à un processus d’exploitation.
L’argent est posé aussi comme forme privilégiée de « l’accumulation », d’un « cumul des biens » :
« L’argent et tous les moyens qui peuvent être entrepris pour le faire fructifier », « cumul des biens sous toutes ses formes : financière, immobilière, lié au monétaire ».
— Le capitalisme, outre sa finalité, peut être caractérisé en tant que système, régime, concept : « concept économique et politique », « régime économique le plus répandu », « système indépassable en Occident », sans que lesdits régimes, systèmes, ou de façon exceptionnelle « mode de production », soient caractérisés dans leurs principes.
On note aussi que les principes ou contradictions fondamentales qui régissent le capitalisme, en tant que régime, mode de production (tels qu’ils se manifestent sur la base de la forme marchande) sont rarement spontanément évoqués, et presque toujours de façon indirecte : « le profit à court terme qui se heurte aux besoins de consommation », « la liberté du marché [et] la concurrence non maîtrisée », « la régulation par le marché et tous les problèmes que cela crée », « de plus en plus incontrôlable », « les boîtes qui croulent, on finira par tout fermer, plus de boulot ».
L’idée de liberté du marché peut au contraire se trouver valorisée, sans que l’on imagine qu’il puisse en résulter des effets néfastes : « La liberté du marché, tout le monde peut proposer ses services, tout le monde peut s’en servir », « le capitalisme c’est une forme de liberté, chacun fait ce qu’il veut, le capitalisme est libre, l’argent donne la liberté, c’est le contraire du socialisme [surveillé] ».
— Associé ou non aux idées de profit et d’exploitation, l’accent peut être porté sur une caractérisation du capitalisme réduit à la finance, au capital financier : « accumulation du capital au profit de la finance ». Les notions de propriété privée, de privatisation (moyens de production ou entreprises), sont aussi mentionnées, elles peuvent être associées au principe de liberté. Ce n’est que dans le sous-groupe des artisans et commerçants qu’un trait particulier est associé au capitalisme, du moins dans sa réalité contemporaine dans le contexte français : les impôts, les taxes, les charges sociales trop lourdes.
— Bien que pour l’essentiel les caractérisations du capitalisme soient rapportées à la base économique, quelques individus mettent l’accent sur le pouvoir ou sur la relation entre argent et pouvoir : « le capitalisme domine le monde, avide de pouvoir », « [les capitalistes] ceux qui mènent tout, mènent le bateau », « le contrôle des foules, le pouvoir », « plus il en a, plus il en veut, l’argent et le pouvoir ». Sont mentionnées aussi en tant que caractérisations essentielles du capitalisme, des traits dérivés : inégalités, mauvaise répartition ou partage, déshumanisation, matérialisme, égoïsme, individualisme.
II — Le capitalisme dans ses aspects contradictoires
À la question : « quels sont, selon vous, les “points forts” et les “points faibles” du capitalisme ? », seules quatre personnes (parmi les ouvriers et employés) ne proposent aucune réponse. Six ne « voient aucun point fort » (artisan, employés, cadre, enseignants). Le plus souvent les divers points forts se présentent avec un complément qui les contredit en partie : ce que l’on considère comme les points faibles d’une même réalité. En premier lieu un développement économique se traduisant par un progrès non partagé.
« Le point positif, développement de l’économie, le point négatif, l’appauvrissement du peuple », « le capitalisme a permis de développer l’industrie, le confort de vie, les richesses, mais l’essence même du capitalisme est de faire des profits sans tenir compte du reste. Ne sert qu’une catégorie de la société, enrichit les plus riches, les ouvriers ne profitent pas de leur travail », « ça nous enrichit financièrement, les pauvres ne peuvent pas en profiter », « tout dépend du côté où l’on se trouve ».
Selon les conjonctures, les lieux, le développement économique peut aller de pair avec la destruction des forces productives et des ressources :
« Le capitalisme a développé le pays [mais] que de problèmes partout, le chômage et tout le reste ! », « il apporte des emplois [et] conduit à détruire des emplois ».
“Les points forts”
En dépit de l’importance accordée aux aspects contradictoires du mode de production capitaliste, la majorité considère qu’il présente de nombreux “points forts”. Ceux-ci concernent pour l’essentiel le développement de forces productives sociales et humaines : développement des richesses, développement économique, croissance, productivité accrue, mais aussi l’amélioration du niveau de vie, du bien être. Selon certains, un tel développement est stimulé par la liberté d’entreprise et des échanges, la régulation par le marché, et ce qui en découle, l’adaptabilité aux besoins, le caractère innovateur.
— Développement de richesses, moyens de production, infrastructures :
« La création de richesses », « le capitalisme crée de la richesse », « amas de richesses », « il crée des richesses qui permettent de sortir d’une économie de survie », « il crée des emplois, fabrique des usines », « il fait tourner les usines », « il permet des investissements, la création d’infrastructures ».
La finalité du mode de production capitaliste (argent, profit), bien que pouvant être critiquée, constitue pour certains un “moteur”, qui conduit à un accroissement des richesses, plus spécialement par l’augmentation de la productivité :
« L’argent peut être un moteur », « en considérant qu’une entreprise vise le profit, [le capitalisme] permet l’innovation », « c’est un système qui encourage toujours l’amélioration (les profits, la productivité), c’est en ce sens qu’il favorise fortement la croissance », « la productivité se développe », « une augmentation de productivité et donc une production de richesses plus importante ».
— Bien qu’il soit généralement estimé que la « répartition » des richesses, ou la « redistribution » soit injuste, inéquitable, on reconnaît au capitalisme d’avoir, dans l’ensemble, permis de répondre aux besoins de la population, amélioré le niveau de vie général :
« Il a fait progresser le niveau de vie du peuple », « faculté de répondre les besoins vitaux de la population [du moins dans les pays riches] », « il permet de répondre en quantité aux besoins de consommation, et aux personnes les plus fragiles de bénéficier d’un niveau de vie correct [par le biais des avantages sociaux] ».
Améliorant « le confort de vie », quelques-uns cependant (plutôt au sein de catégories socialement favorisées) peuvent reprocher au capitalisme de créer des « besoins fictifs », d’inciter à une « surconsommation de biens », « d’assouvir les besoins de consommation [qui ne sont pas nécessairement utiles] (5) ».
— Comme il en avait été fait mention à propos de la question précédente, pour environ un quart du groupe de référence, la régulation par le marché, voire même le profit, constituent des points forts, ouvrant une ère de liberté favorable à l’esprit d’entreprise, à la création, l’initiative. Cet aspect est notamment souligné par des artisans, des cadres du privé, mais aussi des étudiants.
« Un point fort : la régulation par le marché », « la liberté des échanges commerciaux et humains », « la liberté d’entreprendre », « la liberté d’entreprise permet à tout un chacun de pouvoir créer […] et ainsi de tirer du profit de ses réalisations », « une société qui ose ».
La régulation par le marché et par la concurrence se révélerait bénéfique pour l’ensemble de la société, favorisant l’augmentation des richesses, mais aussi l’intérêt des consommateurs : qualité, variété des produits, prix.
« L’économie de marché permet une augmentation de la productivité et donc une production de richesses globales plus importante », « le libre marché, il permet par le jeu de la concurrence de faire bénéficier du meilleur rapport qualité-prix », « un marché concurrentiel offre la possibilité aux consommateurs de consommer une grande variété de produits ».
Par le mécanisme de la concurrence, de la liberté d’entreprendre, la régulation par le marché est parfois valorisée, en opposition à l’entreprenariat public, « non libre », qu’on peut estimer peu performant : « cela permet d’être moins dépendant de l’État », « la soumission à la concurrence oblige à des résultats ».
Les “points faibles”
Dans la grande majorité des cas, les “points faibles” attribués au capitalisme ne concernent pas, on l’a vu, sa capacité à développer des richesses. Ce qui est considéré comme défaut, faiblesse ou insuffisance ne concerne pas les fondements de ce régime (ou si l’on veut son “essence”), mais plutôt les effets engendrés au niveau de la répartition des richesses, les « fossés » entre catégories, l’inégalité sociale. Le thème de “l’exploitation”, pas toujours explicitement formulé, constitue aussi un point faible, ainsi que la désunion sociale qui résulte de l’inégalité, des écarts de revenus.
— Au sein du groupe des travailleurs liés à la production du secteur privé, l’accroissement de valeur, voire même pour certains la logique du profit, ne sont pas toujours estimés “mauvais” en eux-mêmes, pour peu qu’ils conduisent à des investissements productifs. Les critiques que l’on peut formuler relèvent plutôt de l’idée d’un « dérèglement » qui ne serait pas imputable à la “logique” du mode de production lui-même : « concurrence déloyale », « désadaptation entre l’offre et la demande ». On peut aussi déplorer un dysfonctionnement de ce régime, lorsque l’argent, le profit, devenant leur propre fin, conduisent à la domination de la seule finance, de la spéculation, du « capital immatériel », de « l’argent sans base », « parasitaire ». Le plus souvent toutefois, de tels « dérèglements », « dérégulations » ne sont pas rapportés explicitement à une contradiction fondamentale du capitalisme.
On pourrait penser que parmi les personnes interrogées, il n’y ait pas perception des déterminations profondes des phénomènes qu’ils déplorent (mauvaise répartition, dysfonctionnements). Plusieurs cependant signalent, ne serait-ce que de façon indirecte, l’existence des facteurs contradictoires régissant le capitalisme dans sa “logique” propre. C’est en ce sens que peuvent être posés comme “points faibles” sa finalité première (le profit), ou l’un de ses sous bassement, la propriété privée de moyens de production, ou encore la liberté du marché, des échanges, la concurrence, que l’on associe plus ou moins clairement aux crises financières et/ou de surproduction, ou à des phénomènes tels que fermeture d’usines, délocalisations, chômage.
« Avec la [libre] circulation des marchandises et des capitaux, les délocalisations, les pertes d’emploi. »
— Parmi les points faibles, outre la référence obligée à l’exploitation anti-écologique de la nature (6) (ici aussi plutôt de la part de personnes socialement favorisées), on doit noter que se trouve mentionné le thème de « l’inhumanité » (et parfois de « l’amoralité ») du capitalisme, thème qui peut paradoxalement être associé à une dénonciation de la « nature humaine » ou de l’égoïsme qui lui serait inhérent (7).
— Mauvaise répartition des richesses, inégalités, fossé entre riches et pauvres
Des formules, telles que « répartition inégale des richesses », « injuste répartition des richesses », « argent non redistribué équitablement » abondent.
Il peut être question d’une « accumulation des capitaux non ou mal redistribués aux outils de production, aux ouvriers et autres employés », ou de richesses qui ne servent « qu’une catégorie de la société, enrichit les plus riches », « les pauvres ne peuvent en profiter ».
Le thème de la répartition est associé à celui des inégalités. Le capitalisme « crée » ou « creuse » les inégalités. Ce “creusement” peut aboutir à un « écart », un « fossé » entre classes sociales, entre riches et pauvres, voire à une « séparation », à « l’exclusion » d’une partie de la population : « écart de plus en plus important entre classes sociales », « plus d’écart entre ceux qui ont peu [de] moyens et ceux qui en ont beaucoup », « grande séparation entre riches et pauvres ».
L’inégale ou injuste répartition peut à son tour susciter des oppositions sociales, la désunion du pays : « les conflits sociaux [que le capitalisme] engendre », « conduit les gens à s’opposer les uns aux autres et non à s’unir ».
— L’exploitation
Parmi les “points faibles”, les questions qui tournent autour de l’exploitation du travail salarié par le capital, la désignation des différentes classes ou catégories qui tirent leurs revenus de cette exploitation (directe ou par rétrocession) ne sont jamais explicitement formulées. On peut cependant parler, sans autre développement, de « l’exploitation de l’homme par l’homme », de « l’exploitation des uns par les autres », voire même de « l’indépassable conflit capital / travail ».
Quelques formulations moins imprécises sont proposées : « l’exploitation des travailleurs », « toujours prendre à ceux qui travaillent », « les ouvriers ne profitent pas de leur travail ».
— Contradictions, irrationalité, anarchie du mode de production capitalistes, phénomènes destructeurs
Dans le cadre d’une enquête où l’on sollicite des réponses instantanées, celles-ci ne peuvent être mûries, de sorte qu’il n’est pas aisé de parvenir à proposer une analyse des principes qui régissent le régime capitaliste et qui peuvent se révéler contradictoires. On note cependant que plusieurs personnes s’efforcent de dégager quelques facteurs capables de rendre compte de ce qui est considéré comme de simples “dérives” ou “dysfonctionnements”. Outre l’expression, mentionnée une fois, « [le capitalisme], c’est l’anarchie de la production », on signale comme relevant de déterminations essentielles « les crises financières et écologiques », « les crises de surproduction et du crédit », « l’accumulation du capital [qui conduit] à la crise financière », « le capitalisme [qui] peut développer le pays [mais suscite] des problèmes, le chômage et tout le reste », « cela entraîne le chaos ».
Le thème de la liberté des échanges, de la concurrence interne et entre pays, et la destruction de forces productives qu’il entraîne est évoqué : « la mise en concurrence accrue », « la liberté des échanges contre l’emploi », « la concurrence mondiale, la productivité française qui baisse, le chômage qui monte », « la destruction d’emplois », « de moins en moins de travail dans les usines ». De sorte que « la peur de l’avenir s’installe ».
Le désordre engendré par la forme marchande de l’échange et la concurrence mondiale n’affecterait pas seulement les travailleurs, mais aussi les capitaux ou les nations dans leur ensemble.
« Le libre marché comporte des risques, l’entrepreneur peut perdre le fruit de son travail », « la concurrence mondiale : la situation économique des pays développés, ils peuvent voir leur situation économique se dégrader du fait de l’ascension économique des pays pauvres », « la mondialisation est censée apporter de nouveaux marchés […] et ainsi provoquer une augmentation globale de la richesse, le problème est que les coûts de production diffèrent, et on peut tout perdre ».
Ce désordre produit des effets sur l’ensemble de la société, créant ou aggravant les conflits, conduisant à la lutte de tous contre tous, entre classes, entre clans, entre puissances : « tout prend la forme de rapports de force », « les conflits sociaux et internationaux [que le capitalisme] engendre », « lutte entre clans qui se jalousent mutuellement ».
III — Difficulté à cerner les causes des problèmes qui se posent dans le capitalisme
On remarque que pour la plupart des personnes interrogées, il existe une grande difficulté à formuler de façon synthétique quelles sont les déterminations, ou causes des problèmes que génère le capitalisme. Il est vrai qu’à cet égard les “spécialistes” ne sont guère plus diserts.
Le plus souvent, les locuteurs se situent au niveau des effets, reprenant, sous une autre forme, les points précédemment signalés à propos des “points faibles” du capitalisme : inégalités, mauvaise répartition, chômage, précarité, délocalisations, déni de l’humain, absence de morale, d’éthique, ou malignité de la “nature humaine”, problèmes environnementaux, pillage de la planète.
Au regard de la désignation des causes une part notable est faite, plus spécialement dans le sous-groupe des artisans et commerçants à la question du déficit, de la dette, du « trou du budget », des dépenses ou du « coût de l’État », ce qui n’apparaissait que de façon non significative dans les réponses aux questions précédentes.
Dans un nombre important de cas, les personnes interrogées se sont néanmoins efforcées de dégager de façon plus explicite ce qu’ils considèrent comme causes ou facteurs centraux des problèmes qui se manifestent dans le capitalisme. Ils les perçoivent comme plus ou moins liés entre eux et à la finalité de ce régime économique. Les thèmes privilégiés concernent la survenue des crises, la concurrence, « l’argent sans base », mais aussi la contradiction entre « production sans limite de marchandises [et] capacité de les consommer » (8).
— Incapacité à se limiter
La mise au premier plan de la finalité de l’argent, du profit, l’extension indéfinie du capitalisme, conduit à un développement incontrôlé :
« L’argent mène tout », « l’accumulation des capitaux finit par devenir un but en soi », « avoir plus, plus vite », « [On] en veut toujours plus […] il n’a pas de limite, il ne sait pas s’arrêter ». « L’appât du gain, de la richesse » peut conduire à des combats destructeurs : « tout le monde essaie de “bouffer” l’autre : les pays, les patrons entre eux et même les simples gens ».
— Fuite en avant dans la finance (“L’argent sans base”)
Afin de continuer à faire toujours plus d’argent, de profit, « le plus possible et le plus vite possible », chacun poursuivant le même but, les capitaux peuvent “oublier” qu’il leur faut toujours s’alimenter à la seule source créatrice de valeur, le travail humain. Les capitalistes peuvent s’imaginer « faire de l’argent de manière fausse, sans base, par exemple le monde boursier ». Il en résulte que « le financier domine [au détriment de l’entreprise] », « la finance, dont on prétend qu’elle a pour fonction de fournir des liquidités aux entreprises, est complètement coupée de la production et finalement parasitaire, l’argent qui est gagné va aux firmes financières ».
Le thème de « l’argent sans base » est plus fréquemment évoqué par des locuteurs travaillant dans le secteur privé. Les cadres de la fonction publique (dans le groupe de référence principalement enseignants) se préoccupent surtout de la question de la spéculation, des paradis fiscaux, et des mécanismes financiers qui absorberaient à leur seul profit les richesses produites, au détriment d’autres catégories de population : « le profit à court terme dans le but de satisfaire les actionnaires ». « Le capital utilisé à des fins de spéculation », « les paradis fiscaux, la fraude, la corruption », « les magouilles des spéculateurs financiers » sont réprouvés et l’on réprouve, en même temps l’attitude des pouvoirs publics estimés inactifs ou impuissants : « [il y a] défaillance dans le contrôle des mouvements financiers », « aucun contrôle des marchés financiers », « inaction des pouvoirs politiques devant des marchés financiers qui spéculent à l’excès », « manque de réglementation, de repères, contre la loi du plus fort dans les finances ».
IV — Déterminations profondes de la crise actuelle
Les personnes interrogées, ici encore, éprouvent une grande difficulté à exposer les relations causales pouvant exister entre les fondements du mode de production capitaliste et la survenue des crises. On observe un nombre important de non réponse à cette question.
— Parmi ceux qui proposent une formulation, la crise peut sembler survenir comme un simple accident, un dysfonctionnement, une « dérégulation », voire résulter « d’une perte de raison », sans que soit établi un rapport nécessaire entre l’événement et la “logique” intime du régime capitaliste de production. Ceux qui présentent la crise comme un simple accident sont souvent ceux qui sont le plus au fait de l’actualité. À l’instar de certains économistes, “l’explication” de la survenue des crises se focalise sur des aspects phénoménaux, très souvent rapportés au seul monde de la finance, ou spécialement à la crise dite des subprimes : « montage financier immobilier, subprimes », « la crise des subprimes due à deux causes : le caractère prédateur des organismes de prêts hypothécaires se moquant de la capacité des emprunteurs à rembourser (amoralité du capitalisme), le monde de la finance qui ne fait plus l’objet d’aucun contrôle (parasitaire et criminel) et jamais puni », « [c’est] la crise du système bancaire et du crédit (subprimes) et non une crise de surproduction comme en 1929 ».
Pour d’autres, moins “savants” ou moins “informés” des péripéties du monde du capital, se trouve évoquée la relation entre crises et finalité du capitalisme (argent, profit, gain) (4) : « elle [la crise] est due à la volonté de vouloir toujours plus d’argent, de choses », « la gloutonnerie », « l’appât du gain mène toujours à la crise », « on en veut toujours plus, dès qu’il y a trop de “tout”, alors ça mène aux crises ».
— Avec le thème de la concurrence, davantage exposé au sein du sous-groupe des travailleurs du privé, on touche à un principe estimé capable de rendre compte de la survenue des crises, il peut se présenter comme relevant de l’irrationnel : « la concurrence de fous », « la lutte féroce entre firmes et entreprises sur le marché mondial [qui conduit aux crises] » ; « la recherche de rendement devenant une fin en soi, la concurrence s’accroît vivement, on recherche une main d’œuvre toujours moins chère, les productions, et éventuellement les travailleurs sont déplacés, le pouvoir d’achat diminue, l’économie subit le jeu des spéculations boursières [et c’est la crise] ».
La crise, dans sa relation avec la concurrence, peut être appréhendée au niveau restreint d’un pays, plus que par ses déterminations structurelles. On invoque l’insuffisance de compétitivité, le coût de la main d’œuvre, les charges trop lourdes, la concurrence des pays d’Asie ou de l’Europe : « on n’est pas assez compétitifs », « [la concurrence] avec la baisse de la productivité française, les charges, nos produits sont trop chers sur le marché mondial et européen », « problèmes avec la compétitivité fiscale, industrielle et de l’emploi », « concurrence des pays d’Asie, la main d’œuvre est moins onéreuse », « la crise vient de l’Europe, la suppression des frontières, les Polonais, les Espagnols, ils sont moins chers, ils vont nous prendre le travail », « le coût du travail, et donc la production est délocalisée », « toutes les entreprises vont à l’étranger où la main d’œuvre est moins chère », « les nouveaux concurrents émergent, cela conduit à “détruire” la main d’œuvre excédentaire ».
— Déséquilibre production consommation. Crise capitaliste de surproduction.
Question de la réalisation de la valeur
Par la progression du questionnement, un aspect structurel est mis au jour par un nombre important de locuteurs, moins fréquemment dans le sous groupe des enseignants et autres cadres de la fonction publique. L’origine des crises peut se trouver mise en relation avec les contradictions de classes, « contradiction fondamentale entre la production socialisée et la possession de classe », contradiction qui se manifeste dans le déséquilibre entre une « production sans limite » et les « capacités [solvables] de consommation ». Les notions de « surproduction » ou « crise de surproduction » peuvent être formulées explicitement ou par des énoncés équivalents :
« Le capitalisme est par essence générateur de crise : logique d’amassement continu, marché saturé, revenus qui plafonnent », « trop de production pour de moins en moins de personnes capables d’y accéder », « les gens ne peuvent plus acheter car les salaires n’augmentent plus », « la production est restreinte à ce que les gens peuvent s’offrir ».
La nécessité pour le capital de produire, et plus encore de produire pour vendre, se heurte à un principe qui lui est inhérent, la nécessité de tirer le plus de profit du travail réalisé par les producteurs :
« Durant les Trente glorieuses, les États occidentaux ont joué un rôle de modération pour parvenir à un équilibre entre production et consommation, cet équilibre n’existe plus », « contradiction entre la nécessité pour les capitalistes de faire baisser ce qu’ils appellent “le coût du travail” et le fait qu’ils ont besoin de vendre leurs produits à des gens […] qui ont de moins en moins de pouvoir d’achat » ; « les salariés reçoivent des salaires inférieurs à la valeur qu’ils produisent, leur consommation est de plus en plus restreinte ».
Comme le signale un artisan « l’achat fait partie de notre économie ». Le capitaliste ne peut survivre s’il ne réalise pas la valeur de la production réalisée (la plus-value mais aussi la totalité de la valeur créée). Un employé précise : « plus on produit plus il faut vendre, si la chaîne se rompt ça bloque tout le système, la production n’a de sens que si on peut l’écouler ».
Le jeu de la concurrence, qui nécessite un accroissement toujours plus important de la productivité dans le pays, ou qui contraint à rechercher ailleurs une main d’œuvre à moindre coût, joue dans le même sens : « l’augmentation de productivité peut engendrer la surproduction, l’effondrement des cours et le krach boursier » ; « si l’ensemble des entreprises délocalisent, la population — alors sans emploi — ne pourra plus acheter ces produits fabriqués à l’extérieur, même à bas coût », « le capitalisme a permis à des gens de s’enrichir énormément et ne voulant pas diminuer ou partager cet enrichissement, il préfère produire ailleurs moins cher, ainsi il laisse des régions ou pays dans des chaos économiques et sociaux importants ».
— Capital argent «sans base», dérive financière
Le thème de l’argent devenant sa propre fin, ou du capital engendrant directement du capital sans passer par la production de valeurs nouvelles, est énoncé sous forme théorisée, par un cadre du secteur privé :
« Force est de constater que l’Occident est passé – en seulement trente ans – d’un capitalisme d’entreprise ou industriel à un capitalisme financier [passage du cycle : investissement —> production —> consommation —> investissement [argent —> marchandise—> argent], à, un cycle où l’argent semble pouvoir “fructifier” par lui même sans passer par la production [argent —> plus d’argent]. » (9)
Le thème peut être exposé de façon plus prosaïque : « l’argent accumulé via les salaires n’est pas réinjecté dans les entreprises », « le capital nécessaire au fonctionnement et au soutien de la finance n’est plus au rendez-vous », « les capitaux sont dématérialisés, ils ne reposent plus sur aucune réalité marchande, les outils de production ne profitent plus des capitaux augmentés, le capital est utilisé à des fins de spéculation et celui nécessaire au soutien de la production n’est plus au rendez-vous » ; « la virtualisation de la monnaie et la spéculation financière fragilisent l’économie réelle ».
Au sein du sous-groupe des enseignants et fonctionnaires, et seulement pour une partie d’entre eux, les déterminations de la crise lorsqu’elles sont rapportées à la finance, au « capital financier », se posent sous l’angle d’une “dérive » (sans que la question de la nécessité d’une base productive pour la formation de valeur soit prise en compte) : « il y a une perte de raison, dans la crise quelques personnes vont spéculer et la perte s’est répercutée sur le collectif », « [la survenue des crises ], c’est le caractère prédateur des organismes de prêts hypothécaires [et] le fait que la finance ne fait plus l’objet d’aucun contrôle », « les spéculateurs ont joué comme au Casino, pas de sens moral, la crise s’autoalimente ».
V — Comment résoudre ou surmonter les problèmes qui se posent dans le capitalisme
Le nombre de non réponses à cette question est important, notamment dans le sous-groupe employés.
S’il n’existe pas de “muraille de Chine” entre les positions et représentations que peuvent se faire du capitalisme les différents sous-groupes, on constate que s’exposent des “points de vue” distincts selon que l’on se trouve “placé” en tel ou tel lieu (ou milieu) au sein de l’ensemble social. De tels points de vue s’exposent avec plus de netteté encore lorsqu’il s’agit de formuler comment on envisage que puissent être résolus ou surmontés les problèmes qui se posent dans le capitalisme. Le rapport à la réalité sociale, et par conséquent la délimitation du “possible” (immédiat ou historique) ne semblent pas pouvoir être posés de la même façon selon la “position” que l’on occupe au sein des rapports sociaux. Il en est de même pour ce qui touche à la croyance en une amélioration (crédible) de la situation, et plus généralement à propos de la confiance en l’avenir. Il s’agit là bien entendu de perceptions tendancielles. Ainsi certains néo-agriculteurs ou des syndicalistes ouvriers peuvent avoir une représentation plus ou moins superposable à celles d’enseignants ou fonctionnaires pour ce qui touche aux modes de résolution des problèmes qui se posent au sein du régime capitaliste. On ne retiendra ici que les données tendancielles de chaque sous-groupe, qui se comprennent en relation avec la façon dont ils se représentent tendanciellement les déterminations de ces problèmes.
— Au sein du groupe des artisans et commerçants (parfois artisans et commerçants), l’idée d’une transformation profonde des fondements économiques est peu présente. Les moyens à mettre en œuvre s’inscrivent dans le cadre d’un possible immédiat, où les instances publiques seraient à même de reprendre en mains l’organisation du pays, y remettre un peu d’ordre, contre l’anarchie ambiante, l’idée de « redresser tout ça ». Les questions de la protection nécessaire, de la réglementation sont omniprésentes :
« Acheter français, remettre les frontières », « protectionnisme contre les délocalisations », « réglementer marché et emploi », « brider la spéculation, réglementer les marchés, réglementer les conditions de travail ».
Il est aussi insisté sur la nécessité de ménager les deniers publics, pour l’État de mettre en œuvre une gestion saine des dépenses, que l’on estime favoriser à l’excès les “assistés” aux dépens de la production, des travailleurs.
« Ne pas vivre à crédit, augmenter toujours la dette aux dépens de ceux qui produisent », « faire un bon tri [des dépenses] restrictions, et remettre l’argent dans les caisses et aider vraiment les travailleurs, les personnes âgées qui ont bossé toute leur vie et qui n’ont plus rien ».
Ce thème peut être élargi à l’ensemble du système, sans que l’on sache s’il s’agit de critiquer un mode spécifique de régulation politico-social ou le capitalisme lui-même : « tout simplement trouver un autre système économique où les gens qui produisent puissent bénéficier des avantages financiers réalisés par cette production ».
— Au sein du groupe des ouvriers, et pour une partie des employés (secteur privé), le pessimisme domine, aucun mode de résolution ne se présente comme relevant de l’ordre du possible : « insoluble », « aucune idée précise, est-ce seulement possible ? », « on ne peut pas surmonter ces problèmes ».
De telles formulations valent pour exprimer tant l’insolubilité des problèmes posés dans le cadre du régime existant que la situation d’incapacité politique où se trouvent aujourd’hui les ouvriers. Même si des solutions pouvaient être envisagées, il est postulé qu’elles ne seront de toute façon pas entendues, la parole des ouvriers ne pouvant parvenir à prévaloir, avec cette expression terrible : « même par le nombre on est en minorité ».
« Je ne sais pas comment on peut parvenir, à moins de dire ce qu’on pense », « [même] si on sait ce qu’il faut faire, on ne le fait pas », « qu’est-ce qu’on peut dire en tant qu’ouvrier, on n’a pas beaucoup la parole, ils n’entendraient pas, n’en tiendraient pas compte, on ne fait pas le poids, on est en minorité, on ne pèse pas lourd ».
Quelques ouvriers proposent des modes de résolution, principalement centrés sur l’idée de limitation des processus expansifs du capitalisme. Tout en sachant bien que « c’est impossible » ou « très difficile » à mettre en œuvre.
« Une des solutions est de tout limiter : les exploitations, la taille des usines, la pollution. Seulement c’est impossible. […] Il ne faut pas sortir de Saint-Cyr pour trouver des solutions. Mais elles ne seront jamais mises en œuvre ».
« [On pourrait surmonter] en mettant un frein aux banques et à la minorité de personnes qui détiennent les fonds et en mettant des personnes dignes de foi aux manettes du pouvoir, ce qui me paraît actuellement très difficile ».
— Au sein du groupe des employés, même tonalité, les moyens à mettre en œuvre pour surmonter les problèmes posés par le capitalisme, s’inscrivent dans ce même registre de l’impossible.
Soit parce que font défaut les connaissances et les leviers politiques « si quelqu’un avait la solution, ni le Président, ni le gouvernement ne le savent », soit parce que cela impliquerait un renversement de l’ordre social : « impossible, il faudrait que les riches deviennent pauvres et inversement, [changer l’échelle de pouvoir] : peuple => bourgeois => riches => hommes de pouvoir (président) => minorité mondiale dirigeante », « [il faudrait] partage, échange, tous au même statut ».
On peut projeter de tels modes de résolution dans l’ordre de l’idéal, non de la réalité envisageable : « dans l’idéal : socialisation des moyens de production ».
— Dans le groupe des cadres (secteur privé), il peut être fait mention de la complexité du problème, et par conséquent de la difficulté à proposer des solutions. Ce qui n’empêche pas certains de proposer, “en toute humilité” et en détail, des modes de résolution grandioses, pour peu que l’on analyse ou que l’on s’attache aux problèmes essentiels, variables selon les individus : la publicité, la vie (la rendre plus harmonieuse), l’homme (devenir plus solidaires) :
« Difficile de répondre à une question aussi complexe. Mais très humblement le problème ne vient-il pas de la télévision et de la publicité. Pour surmonter il faudrait changer l’envie des individus »
« Je n’ai pas la prétention de résoudre ces contradictions, s’il existait une solution toute faite, elle se saurait : l’économie sociale et solidaire […] est peut-être une solution dans certains secteurs économiques ; les États peuvent se regrouper en fédération pour unir leurs compétences dans le domaine économique et social »
« Le problème que devra résoudre l’Humanité pour ce XXIe siècle est le suivant : comment créer une société harmonieuse où chaque individu aura sa place dans un monde hyper technologique (qui par définition demande de moins en moins de main d’œuvre) tout en sachant qu’il épuise actuellement ses ressources fossiles et détériore son environnement naturel ».
« [Il faudrait] analyser, qu’est-ce que la vie ? le parcours de vie se fait par rapport à la population du pays, raisonner sur les besoins de la population. […] On ne sait pas comment financer la vie, mettre à plat pour avoir une vision claire des besoins »
Des préconisations plus pragmatiques sont aussi formulées : « [il faudrait] baisser les charges patronales et les coûts de production, être plus compétitifs, mais pour faire quoi ? »
— Au sein du groupe des enseignants et des cadres de la fonction publique, la parole est diserte, mais la relation à la réalité concrète, dans une conjoncture historique donnée, peut se révéler pour certains quelque peu “distanciée”. Si deux locuteurs n’imaginent pas de mode de résolution possible dans le cadre du capitalisme (« il ne me paraît pas possible de résoudre ces contradictions et ces problèmes dans le cadre du capitalisme », « [la résolution ne pourrait venir que d’un] changement de mode de production, produire en fonction des besoins réels »), une majorité de formulations proposent des solutions qui ne remettent pas en question la base du régime, certaines relèvent du simple “ya qu’à”. Ne conviendrait-il pas que les individus, les hommes prennent quelque distance avec la consommation de masse, la surconsommation ?. Tout ne serait-il pas alors résolu [même si cela devait nécessiter un “relavage” des cerveaux” avec quelque lotion nouvelle] :
« La course à la consommation ne satisfait pas l’homme en fin de compte, mais la difficulté sera d’en convaincre les individus, vu le lavage de cerveaux qui a été fait depuis des décennies et qui est intimement lié à la survie du système. Une fois qu’on aura touché à ce nœud central de tout le dispositif, tout le reste se défera » , « on ne surmontera rien tant que nous resterons les éternels gogos bernés par la surconsommation ! »
Ne conviendrait-il pas aussi qu’on limite la production, afin de protéger la nature et l’environnement ? : « Il est urgent de sortir du schéma productiviste industriel qui détruit l’homme et la nature », « autre modèle économique avec prise en compte de l’homme et de l’environnement ».
Le mal essentiel à résorber peut encore sembler ressortir pour l’essentiel de la finance, plus que du capitalisme lui-même. Ne conviendrait-il pas ainsi de mettre fin à la spéculation, aux désordres boursiers, aux paradis fiscaux ?, etc.
« [On pourrait résoudre] en ayant la volonté politique au niveau national, européen ou international de mettre fin aux paradis fiscaux, aux aberrations boursières ». Dans la foulée, on pourrait aussi « [mettre fin] aux échanges commerciaux inégaux, au travail des enfants, aux contrôles des conditions de travail dans les pays exportateurs, en faisant respecter les chartes. »
Un enseignant semble à cet égard bien au fait des mécanismes qui régissent l’univers financier qu’il réprouve et combat. Il s’agirait de punir les gros spéculateurs pour préserver les petits : « en frappant les spéculateurs de grosse envergure, les montages financiers, en révisant le système actionnariat / cotation en bourse (faut-il conserver le système d’investissement en entreprise par le biais d’actions ou obligations boursières ».
Comme dans le groupe des cadres (privé), des préconisations pragmatiques peuvent cependant être suggérées :
« [Pour éviter] la fuite des capitaux à l’étranger, rendre l’investissement des les entreprises en France plus intéressant, en donnant la possibilité à chacun (ouvriers, employés) d’être entrepreneur financier de sa propre entreprise ».
La nationalisation d’entreprises permettrait de surmonter les problèmes, dans la mesure où la production étatique semble se présenter comme “pure” de toute attache avec le capitalisme : « quelques entreprises privées devraient être nationalisées, l’État ne cherchant pas son propre profit et redistribuant l’argent à tous les membres de la société ».
— Dans le groupe des étudiants, les types de réponses dominantes peuvent être mis en relation avec celles qui prévalent dans le groupe des enseignants et autres cadres de la fonction publique, comme s’ils voyaient la réalité du monde en fonction d’un même “point de vue” (au sens de l’optique).
NOTES
(1) L’enquête a été réalisée d’octobre 2012 à mai 2013. Le groupe de référence comprend quarante-huit personnes : 2 agriculteurs, 10 commerçants et artisans, 8 ouvriers, 6 employés, 6 cadres et techniciens (secteur privé), 12 fonctionnaires (cadre A) dont 9 enseignants, 4 étudiants. Parmi eux, 5 sont actuellement au chômage.
(2) « Je n’ai jamais vraiment su ce que c’était le capitalisme » (artisan).
(3) Comme l’avait remarqué Raymond Aron, les spécialistes de l’économie ne se situent qu’au niveau des phénomènes, et sont incapables de saisir “l’essence” du mode de production capitaliste, ce qui détermine son mode de développement. Pour cette raison ils ne comprennent ni l’objet, ni la méthode d’analyse de Marx telle qu’elle est exposée dans le Capital (Voir Raymond Aron, le Marxisme de Marx, Paris, de Fallois, 2002).
(4) Progression du questionnement (questions ouvertes) : — Si l’on vous demandait de définir le capitalisme, qu’est-ce qui vous paraîtrait le plus important à signaler pour le caractériser ? — Quels sont, selon vous, les points forts et les points faibles de ce régime (le capitalisme) ? — Quels sont les problèmes principaux (ou contradictions principales) du capitalisme ? — Quelles sont les causes, les déterminations essentielles de ces problèmes (ou contradictions) ? — Cela a-t-il un rapport avec la survenue des crises ? En quoi ? — Comment pensez-vous que l’on puisse surmonter, ou résoudre, ces contradictions, ces problèmes ?
(5) « Faire croire que consommer est la finalité de la vie », « abus de consommation de biens de plus en plus intensive », « contrôle des masses et du peuple, par l’apport de la technologie et de la consommation ».
(6) « Il [le capitalisme] n’est pas écologique », « exploitation effrénée de la nature », « détérioration de la planète », « consommation effrénée de matières premières et de ressources naturelles, en cours d’épuisement », « l’environnement en prend un coup ».
(7) « On oublie l’humain », « manque d’humanité », « fonctionnement autodestructeur pour les hommes », « tout est ressource à exploiter, l’homme comme la nature », « caractère prédateur et profondément amoral », « régime égoïste », « son avidité et l’égocentrisme de chacun ».
(8) « On prend aux petits pour donner aux gros », « les pauvres ne peuvent pas capitaliser », « les pauvres ne peuvent plus acheter ».
(9) La formulation a été légèrement modifiée, afin de mieux faire saisir le sens du propos de ce locuteur.