Georges Korm, Les mille et une vies de la culture arabe (2015)

Georges Korm : Les mille et une vies de la culture arabe
Revendications nationalistes arabes et fondamentalisme islamique
En perspective historique, ne pas confondre les deux questions

Dans un entretien publié dans Marianne (19-25 juin 2015), Georges Korm (1) distingue les deux questions. Selon lui la culture arabe a été très riche, ceci même avant l’Islam. Elle a connu des hauts et des bas s’appauvrissant depuis le XVe siècle, jusqu’à l’arrivée de Bonaparte en Egypte en 1798, qui sonne pour elle le réveil.
L’auteur distingue trois phases dans l’évolution de la pensée et des mouvements nationalistes arabes.
— Le réveil qui suit l’arrivée de Bonaparte correspond à un désir de modernité, il va du XIXe siècle jusqu’au milieu du XXe siècle. Des intellectuels participent de cette modernisation, ils préconisent une éducation moderne pour combler le retard scientifique, d’adapter à la modernité les pratiques figées de la religion, d’améliorer le statut de la femme. Lors de cette période de renaissance, les cheiks religieux, plus spécialement en Egypte, vont jouer un grand rôle. Al Azhar fait traduire ceux mille ouvrages français et introduit les notions de citoyenneté et de patriotisme. Le cheikh renouvelle le lecture des textes sacrés. Ali Abderraziq conteste pour sa part que la Califat soit une exigence religieuse, le Coran selon lui est silencieux sur les système de pouvoir dans les sociétés musulmanes. Thaha Hussein (ministre égyptien de l’éducation en 1950) propose une analyse critique de l’histoire islamique et cherche à développer l’enseignement scolaire et universitaire gratuit.
— De 1920 à 1980, c’est une période d’épanouissement du nationalisme, en relation avec la désintégration de l’Empire ottoman après la Première Guerre mondiale, et les réactions au colonialisme britannique. Des précurseurs en posent les fondations avant la Seconde Guerre mondiale. Après cette guerre, de nouveaux problèmes se font jour : d’une part, la création de l’Etat d’Israël, d’autre part la concentration de richesses pétrolières dans la Péninsule arabique, gouvernée par des rois et princes conservateurs. Ceux-ci vont s’opposer aux mouvements nationalistes laïcs et aux mouvements révolutionnaires, et vont devenir des soutiens pour les courants panislamistes.
Le courant nationaliste connaît son apogée avec les mouvements anti-impérialistes qui traversent les sociétés arabes,plus spécialement après 1956 (attaque franco-britannique contre l’Egypte, en réaction à la nationalisation du canal de Suez). Dans le sillage de cette montée du nationalisme, la République Arabe Unie (Egypte Syrie) est créée en 1958. Elle est éphémère et achève de se défaire avec la guerre israélo-arabe de 1967 (guerre dite des “Six Jours”). La mort de Nasser en 1970 facilite la montée de forces contre-révolutionnaires et le développement de l’Islam fondamental.
— La phase de développement d’un islam fondamentaliste s’impose contre les nationalismes arabes. des mouvements nationalistes radicaux et anti-impérialistes, y compris marxistes, peuvent coexister avec cette montée du fondamentalisme antimoderniste et antinationaliste. Dans le même temps, les dirigeants américains travaillent à instrumentaliser les différentes religions (juive, chrétienne, musulmane) lors de la dernière étape de la guerre froide, afin d’accélérer la chute de l’Union Soviétique. Ceci en alliance avec l’Arabie Saoudite et le Pakistan. C’est au cours de cette période que se constitue l’organisation Al-Quaida et le régime des Talibans.
Grâce au quadruplement du cours du pétrole, l’Arabie saoudite devient de plus en plus influente dans tous les pays musulmans création de l’Organisation des Etats islamiques, exportation de la doctrine Wahhabite). les autres régimes arabes prennent conscience de l’intérêt d’une instrumentalisation de l’islam fondamentaliste qui facilite leur contrôle sur la population. L’Islam radical politique se diffuse aussi largement avec la confiscation par une partie du clergé de la révolution iranienne. Selon l’auteur, cette révolution était au départ le fait de fractions nationalistes (marxistes et libérales). Le clergé instaure en Iran un système politique hybride, fait de constitutionnalisme moderne et de contrôle clérical sur le pouvoir.
Le Moyen Orient bascule dans une surenchère religieuse. Puis c’est le tour de la Turquie, dirigée depuis 2000, par l’AKP, une branche des Frères musulmans. Toutefois, tient à préciser l’auteur, nous ne sommes pas à l’ère d’un « retour du religieux », mais dans « l’ère d’un recours au religieux poursuivant des buts de puissance profane. »

NOTE
(1) Georges Korm est libanais. Il a été ministre des finances du Liban.

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