Les notions dont on propose des définitions “conceptuelles” présentent des contenus condensés, pour lesquels un arrière fond théorique se trouve mobilisé, chaque notion faisant ainsi appel à des matrices conceptuelles plus générales, qu’il est impossible de restituer.
Il n’est pas inutile de préciser ici ce que l’on entend par définitions théoriques ou conceptuelles.
Il existe en effet plusieurs types de définitions.
Les définitions de “mots” ou de langue : par exemple, pour la formulation mode de production, on cherche le mot mode, on cherche le mot production et on indique quelle peut être la signification de cette association de mots. C’est une première indication, mais qui en général ne donne pas une définition théorique.
Les définitions dans l’ordre de la théorie, sont d’une autre nature. Si l’on reprend mode de production, en tant que concept théorique, on doit dégager les différents caractères, (ou critères), qui pris ensemble, dans leur articulation propre, donnent le concept adéquat d’une chose. Le concept lui-même se comprend dans le cadre d’une théorie plus générale.
Dans le cadre des définitions conceptuelles, on peut distinguer entre définitions « de convention », ainsi la définition du cercle, du triangle (1), et, définitions d’un ordre différent, tirées par processus d’abstraction d’un ensemble de choses plus complexes, par exemple la marchandise, le capital, les classes sociales, la nation etc. Le travail de définition se révèle ici moins aisé, il faut avoir analysé ces choses (dans la réalité) et dégagé leur configuration essentielle.
Définitions conceptuelles
Précisons d’emblée que, contrairement à une pratique devenue courante, les concepts ne sont pas ici considérés comme des “inventions”, sortant tout accomplies du cerveau génial de quelque philosophe, mais qu’ils résultent d’un travail de conceptualisation. On rappellera en conséquence quelques-uns des principes, qui, depuis Aristote, sont inhérents à ce travail de conceptualisation : principes de classification, de réciprocité, compréhension et extension d’un concept.
— Les définitions dans l’ordre théorique, conceptuel, sont à mettre en relation avec le travail logique de classification. (2)
Les concepts se présentent ici comme l’ensemble des termes (critères ou caractères) essentiels et communs qui, pris ensemble, permettent de définir (penser de façon adéquate) une classe d’objets (idée d’un schème, d’un schéma, d’une articulation spécifique).
— Si le travail de conceptualisation de la chose que l’on veut penser théoriquement est bien construit, il y a réciprocité entre le concept et l’ensemble de ses caractères, sa configuration propre.
Prenons la définition de la République par Jean Bodin, qui pose un ensemble de caractères, et leur articulation spécifique : République, droit gouvernement de plusieurs ménages, et de ce qui leur est commun, avec puissance souveraine.
Il n’est pas question ici de savoir si cette définition théorique est la plus juste possible par rapport à la réalité des républiques (au sens ancien du terme), mais de considérer le principe d’élaboration conceptuel de la notion, et la réciprocité qu’il implique, entre la chose, ici la république, et sa définition théorique.
Si nous disons : droit gouvernement de plusieurs ménages, et de ce qui leur est commun, avec puissance souveraine, cela signifie que, dans la classification de Jean Bodin, se trouve désigné un groupement humain que l’on peut faire entrer dans le genre république.
Dans une définition non théorique d’une chose, il n’y a pas nécessairement ce caractère de réciprocité entre la chose dans la réalité et les mots qui servent à l’exposer.
On peut dire par exemple : l’or est jaune, mais on ne peut pas dire « ce qui est jaune est de l’or ». Il n’y a pas réciprocité entre le caractère jaune et ce qu’est l’or.
On peut en revanche énoncer, en langage courant, qu’il existe une réciprocité entre le fait de dire que la classe des étoiles comprend les astres qui brillent de leur propre lumière, et, qu’un astre qui brille de sa propre lumière appartient à la classe des étoiles.
— Compréhension et extension d’un concept.
La compréhension d’un concept se rapporte au principe de sa définition : ensemble des termes, critères, caractères essentiels et communs, qui, pris ensemble, dans leur articulation propre, s’appliquent à une classe d’objets, et seulement à cette classe d’objet.
L’extension d’un concept : c’est la classe des entités ou l’ensemble des objets, auxquels le concept peut s’appliquer, qui rentrent dans sa définition, et qui par conséquent récuse ceux qui ne peuvent y entrer.
Par exemple si la définition conceptuelle de mode de production est adéquate à la réalité mode de production, cette définition permet de repérer ce qui est vraiment mode de production, par rapport à ce qui peut être nommé comme tel, sans être un mode de production (définition non conceptuelle ou simple mot).
L’extension et la compréhension se posent en un rapport inverse. Prenons la classe des mammifères, dont la compréhension se définit par un ensemble de critères, avec extension à un certain nombre de sous-classes. Si on veut étendre la classe des mammifères, à la classe des vertébrés, un ou plusieurs caractères spécifiques devront être supprimés de l’ensemble des termes de compréhension de la classe la plus englobante (ici vertébrés). à l’inverse, si l’on veut réduire l’extension, en passant de la classe des mammifères à la classe des carnivores, l’ensemble des termes de compréhension devra être augmenté (ici, pour la classe des carnivores).
On ne s’étendra pas ici sur la distinction spécifique, en se bornant à mentionner que cette distinction pose un caractère essentiel propre qui permet de distinguer, dans la définition, un objet d’un autre, son attribution, son caractère spécifique, notamment au sein d’une même classe englobante (3).
Il faut distinguer de la définition conceptuelle au sens strict (“noyau” essentiel ou configuration de traits spécifiques”), les différentes formes d’existence, de manifestation, d’une chose, d’une entité donné : par exemple entre classe en soi et classe pour soi ; ou politique dans sa forme proto politique et politique pleinement achevée dans la logique propre de son développement.
NOTES
- De telles définitions sont en fait elles aussi au départ pour partie issues d’un procès d’abstraction à partir d’objets sensibles.
- Aristote : Toute définition se fait par le genre et la différence. Placer un objet dans un genre (général), ou classe. Indiquer les caractères essentiels qui spécifient ce genre ou cette classe (et seulement elle). La définition doit convenir à tout le défini et au seul défini. En outre les définitions conceptuelles se rapportent à des êtres composés, dont il faut analyser (isoler, puis réunir) les facteurs.
- Deux entités, par exemple Cité, état, peuvent appartenir à l’extension d’une même classe d’objets (les groupements politiques), et différer entre elles par un ou plusieurs traits propres, qui définissent la compréhension exclusive, d’une part de la Cité, d’autre part de l’État.