En préalable à l’exposé, des questions préparatoires pour les participants :
— Comment fait-on pour connaître la réalité ?
— En général ?
— Pour connaître la réalité sociale et politique ?
Noter comment chacun procède effectivement quand il est confronté à ces questions (chercher des exemples).
Eventuellement, se demander comment il faudrait procéder pour mieux connaître le réel (dans l’immédiat et dans l’histoire).
Réfléchir aux difficultés personnelles rencontrées pour répondre à ces questions.
La première question est la plus difficile. On la posera de façon générale au regard de la théorie de la connaissance, avant de pouvoir la poser dans le domaine politique.
La connaissance se développe comme processus, ce qui signifie qu’un état de connaissance n’est jamais un acquis définitif, qu’il s’agisse d’un individu ou de l’humanité. La connaissance commence toujours par l’ignorance, c’est ce qui ouvre à la curiosité, au besoin de comprendre. Penser que l’on sait tout d’emblée est un obstacle à la connaissance, de même que penser que l’on est assez savant parce que l’on a beaucoup étudié, travaillé, qu’il n’y aurait plus qu’à se reposer sur ses lauriers. Le processus de la connaissance ne peut se poursuivre que si l’on se perçoit toujours comme ignorant, du moins pour partie, donc toujours curieux de mieux comprendre. Quel que soit le niveau de connaissance atteint, on est toujours ignorant sur quelque chose. Celui qui se sait ignorant peut progresser. Celui qui sait tout, ou croit qu’il sait tout, ne peut plus progresser. L’ignorance indique les limites de notre connaissance, elle n’est pas en elle-même cause d’erreurs. En revanche croire que l’on sait déjà tout, que tout est déjà dans notre tête, cesser l’effort de connaître, peut engendrer un faux savoir, de fausses certitudes.
Pour progresser dans la connaissance, il faut aussi voir que les erreurs font partie du processus de connaissance, ceci à condition qu’elles s’inscrivent dans le cadre d’un effort pour connaître, pour comprendre. Non seulement, on ne doit pas craindre la possibilité de commettre des erreurs quand on progresse, mais voir aussi que les erreurs bien identifiées peuvent servir le processus de la connaissance. A condition de voir clairement quelles sont les fausses pistes que l’on a suivi, de s’interroger sur leurs causes, de se poser de meilleures questions, chercher à mettre en œuvre des méthodes plus rigoureuses, [Bref de développer une pensée “aporétique” (1), au sens d’Aristote : progresser à partir des points, des difficultés où l’on a buté]
Analyse de la question
La première question était : Comment fait-on pour connaître la réalité ?
Un premier point de méthode mérite d’être signalé. Au cours d’une scolarité bien menée, on nous apprenait à interroger l’énoncé des questions qui nous étaient posées, définir leurs objets, les problèmes posés. Si l’on n’interroge pas la question avant de répondre, on passe à côté du problème. Cela est particulièrement vrai dans le domaine politique. Beaucoup d’hommes (ou femmes) politiques proposent des “solutions” sans avoir au préalable analysé de façon concrète les données de la situation. On passe tout de suite à la réponse plutôt que d’analyser la question elle-même, son objet.C’est pourtant en s’interrogeant sur les différents termes de la question, c’est-à-dire sur le problème posé, qu’on peut trouver les moyens de le surmonter. C’est là toute la difficulté du problème : comment peut-on connaître la réalité, alors que celle-ci nous est pour l’essentiel extérieure à nous, distincte de la conscience qu’on peut en avoir. [Voir le Cours Matérialisme et Idéalisme]
D’où la question: comment la connaissance d’une réalité générale extérieure à nous est-elle possible ?
On va essayer d’analyser de plus près les termes de cette question en analysant de façon détaillée les différents termes. [Chacun des termes à analyser est suivi d’une lettre entre parenthèses (A), (B) (C), (D), (E).]
Comment (1), fait (2)-on (3) [on = le sujet], pour connaître (4), la réalité (5) [des choses] ?
— (A) Comment ne fait que signaler qu’il y a problème, que la question de la connaissance est moins évidente qu’on ne peut l’imaginer.
— Il y a d’autres termes dans la question : pour connaître (D) = le but posé [connaître]
—Connaître quoi ? : la réalité (E) [= les choses à connaître].
— On suppose aussi dans l’énoncé qu’il faut une action spécifique : Faire (B) — ce qui suppose que la connaissance ne tombe pas du ciel ou ne monte pas directement des choses en nous, qu’il y a une activité, un “travail” à faire pour connaître.
— Par conséquent qu’il faut un Sujet pour faire, pour connaître, un sujet pour élaborer la connaissance. Ce sujet est désigné par le mot : On (comment fait-on ?) (C)
On va appeler ce On : le Sujet de la connaissance (S), l’individu ou l’homme en général, celui qui veut connaître.
On va appeler réalité, l’Objet de la connaissance (O), sachant que la Réalité, le réel, et les choses ont la même étymologie latine (rem = chose). L’objet (O), ce sont donc, les choses (2) que l’on vise à connaître.
Il faut aussi se demander en quoi consiste la connaissance (C) d’un objet : qu’est-ce que connaître ?
Et enfin on va s’interroger sur comment peut faire le Sujet de la connaissance pour connaître un objet ?
A noter qu’on utilisé le mot : faire [comment faire pour connaître la réalité ?]. Cela nous indique que le processus de la connaissance n’est pas passif (au sens où il suffirait de recevoir par les sens la connaissance que les choses nous transmettraient directement). Faire cela signifie que la connaissance se construit, qu’il faut un sujet pour la connaissance et que ce sujet de la connaissance doit être actif.
Cela conduit à interroger d’un peu plus près les notions de connaissance, réalité, sujet de la connaissance, objet de la connaissance. Puis de se demander comment se posent les relations entre le sujet de la connaissance et l’objet à connaître. Ce qui renvoie aux différentes théories de la connaissance. En outre il faudra distinguer la notion de sujet de la connaissance (dans un sens universel) et celle de subjectivité (liée à un sujet particulier), et d’aborder la question de l’objectivité dans son rapport à la conception matérialiste de la connaissance.
Sur cette base, on s’intéressera ensuite à plusieurs aspects : comment poser la relation entre sujet et objet de la connaissance, qu’est-ce que connaître, quelles sont les deux pôles de la connaissance, en quoi consistent leurs rôles, faut-il poser des limites à la connaissance humaine? La plus grande difficulté étant, on le rappelle, de comprendre comment quelque chose d’extérieur, indépendant, de la conscience d’un sujet, les choses, la réalité, peuvent-elles être connues par lui.
NOTES
(1) Le mot aporétique est construit à partir du substantif grec aporia (difficulté, passage impraticable), et du verbe aporien (être incertain). Dans l’esprit d’Aristote, la démarche aporétique consiste à “traverser” les apories (diaporématique), en examinant en tous sens une difficulté afin d’en faciliter la solution.
(2) On ne distingue pas ici, pour ne pas compliquer, entre les notions de chose et d’objet, et entre objet réel et objet (construit) par la connaissance.