Le livre « Camarade Papa » est le deuxième livre d’Armand Gauz qui avait écrit en 2014 le roman « Debout Payé » relatant le vécu d’un vigile immigré ivoirien dans un grand magasin parisien.
Avec « Camarade Papa » on ne se situe plus dans le présent mais dans un passé plus ou moins lointain. Le livre est constitué en fait de deux histoires. La première prend son départ à la fin du 19e siècle et retrace l’itinéraire du jeune et pauvre Français Dabilly originaire de la Creuse. Ce dernier devient presque par hasard colon dans ce qui va être la Côte d’Ivoire. L’autre relate la vie d’un jeune garçon issu d’une union entre une socialiste (1) et un communiste qui vit à Amsterdam. Elle se déroule dans les années 1960-1970.
Gauz entend situer son roman à la fois d’un point de vue de classe et de l’intime (2). Ces deux points de vue traversent les deux récits situés à des périodes historiques et des lieux géographiques très différents. Le style est riche et même truculent surtout en ce qui concerne l’histoire de l’enfant. Le moindre détail de sa vie est dénommé de manière très « rouge » et enfantine à la fois. Le menu est ainsi prévu par plans quinquennaux de quatre jours par exemple et les prostituées sont des vendeuses de bisous dont les seins sont des grands bonbons pour messieurs.
En ce qui concerne l’histoire de Dabilly, l’écriture est plus resserrée, plus saccadée, moins poétique et plus réaliste. Il s’agit de montrer que l’Histoire avec un grand H si elle s’inscrit dans un contexte socio-économique se fait avec des êtres dont les ressorts, dans leur immédiate conscience, sont personnels. Il insiste sur le nombre très faible des hommes européens au début du processus de colonisation et sur les causes naturelles de mortalité chez les colons comme le paludisme et la dysenterie. Il insiste également sur le caractère universel du processus de colonisation qui ne relève pas de la différence de couleur de peau. Il insiste également sur le fait que les rapports marchands établis depuis des siècles entre les entités politiques africaines et européennes ont préparé beaucoup plus efficacement la colonisation que la force brutale des tirailleurs sénégalais et les traités conclus avec les aristocraties locales, qui ne sont que la conclusion de ce processus.
La lecture du livre de Gauz relève du plaisir littéraire mais ne se limite pas à ça. Elle remet aussi en cause le « dolorisme chromatique » issu peu ou prou du concept de la négritude pour faire prévaloir le concept de classe et de la libération humaine qui ne peut qu’être universelle et réciproque. Dans les tournées de l’auteur en France et à l’étranger cette démarche rencontre un réel écho chez beaucoup de personnes. L’auteur véhicule dans toutes ses expressions un message militant original et sortant des identitarismes de tout poil. Dans la période confuse dans laquelle on vit, c’est intéressant.
(1) Maman est seulement une putain de socialiste, dit Camarade Papa. Mais leur proximité idéologique semble très grande puisqu’on apprend quelques lignes plus loin que Camarade Papa milite pour la Chine révolutionnaire quelque part et que Maman étudie l’Albanisme à la grande bibliothèque…
(2) Par rapport à ces questions de classe et de l’intime la thématique des “origines” est assez secondaire pour Gauz. On apprend seulement que la Maman du jeune garçon est d’un marron très clair comme lui et que Camarade Papa est d’un marron foncé.
(3) Il cite notamment la colonisation des Gaulles par les Romains. Il est à rappeler que celle-ci causa entre 400 000 et 1 000 000 de morts et réduisit en esclavage entre 200 000 et 500 000 personnes.
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